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la belle terrasse de tilleuls, mais qui sut arrêter la hache homicide (c’est une justice que l’histoire contemporaine lui doit) devant le tilleul consacré par les galans tête-à-tête du roi et de la blonde comtesse ; à M. Ramon Alvaro Benito, de Madrid, et enfin à M. Pierre Laffitte, banquier, qui en est propriétaire depuis 1818.

Quoique, avant de procéder à la vente aux enchères, le gouvernement eût fait vendre pour son propre compte tout le splendide mobilier de Luciennes, statues, tapis, porcelaines, tableaux, pendules, glaces, rideaux, les divers propriétaires que nous venons de citer trouvèrent encore de quoi glaner. Ils vendirent très avantageusement les belles ferrures dorées, les pierres des bassins, et jusqu’aux carreaux de glace des châssis. Si la bande noire n’eût pas refusé d’acheter les arbres du pare comme trop jeunes, ils auraient été impitoyablement coupés. Il ne restait absolument que les murs, et encore dans quel état ! quand M. Pierre Laffitte entra en jouissance. Il y avait du foin dans le château et des bestiaux parqués dans le pavillon.

Les autres particularités qui se rattachent au château de Luciennes ne nous ont pas paru d’un intérêt assez général pour exiger une mention. Luciennes a vu sans doute d’autres jolies femmes pendant les divers règnes de propriétaires dont nous avons donné la chronologie ; il a eu d’autres fêtes, et même de fort brillantes, sous la restauration, bien des nuits animées par le plaisir depuis les nuits de la célèbre maîtresse de Louis XV ; mais quel nom écrire après celui de Mme Du Barri ? Le lecteur, ce roi difficile et jaloux, est comme Louis XV ; à Luciennes, il ne veut voir qu’elle. Fermons donc la grille du château sur cette figure si gracieuse et si tristement historique, sur la femme de ce joli pavillon Du Barri qui a deux portes, l’une par où un page vint un jour dire d’une voix douce : « Madame la comtesse, voulez-vous recevoir le roi de France ? » l’autre par où un homme ivre lui cria « Fille Vaubernier, suis-moi à la guillotine ! »


LEON GOZLAN.