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non pas jusqu’à l’hymen[1], » voulant expliquer par là, selon l’opinion des anciens, que l’intelligence suprême est éternelle comme Dieu même, dont elle est le premier attribut ? Telle est la gravité de cette déesse, et pour ainsi dire sa virilité, qu’elle commande les armées et assure la protection de son père « à ceux qu’elle couvre de ses ailes. » Aussi la statue colossale du Parthénon était-elle armée du bouclier et de la lance, et portait-elle dans sa main la Victoire ; Phidias avait même sculpté sur l’ivoire et l’or de ses vêtemens et de son armure des sujets analogues à ceux qui décoraient le temple. Le style dorique, formé, selon Vitruve, à l’imitation du caractère et du corps de l’homme, convenait donc mieux que tout autre, nous le répétons, à une aussi grande déesse.

Il est difficile de concevoir une architecture plus capable de se mettre en harmonie avec le caractère d’une divinité et d’en exprimer la nature que l’architecture du Parthénon. La religion grecque, quelles que soient d’ailleurs ses imperfections, avait sur les religions modernes cet avantage de personnifier les attributs de Dieu et de permettre aux artistes de représenter chacun de ces attributs sous une forme propre et bien définie. L’art pouvait donc établir pour chaque mythe une tradition qui allait s’épurant avec la science et la religion mêmes, et qui devait atteindre sa perfection, lorsque l’idée de Dieu aurait atteint sa plus grande clarté. C’est pour cela sans doute que le même siècle de l’histoire grecque a vu naître les meilleurs ouvrages en tout genre. Pour les modernes, au contraire, chez qui la religion dégage l’idée de Dieu de toute forme sensible, ni le sculpteur, ni le peintre, ni l’architecte ne la peuvent représenter. L’architecte exprimera-t-il tel attribut de Dieu dans telle partie de son temple, il brise alors l’unité de son œuvre ; si dans un édifice il n’exprime que l’un de ses attributs, il est en désaccord avec des cérémonies où Dieu tout entier est glorifié, et son œuvre est païenne. Enfin, comme il arrive d’ordinaire, s’il exprime tout en tout, Dieu tout entier dans le temple tout entier, en réalité il supprime l’idée en la rendant obscure et la remplace par un sentiment confus de la divinité. Aussi peut-on dire avec quelque raison que tout est vague et ténébreux dans les architectures gothique et byzantine, tandis que tout est clair et précis dans l’architecture grecque. Celle-ci atteint sa perfection entre les mains de Phidias et d’Ictinos, celles-là marquent des temps de décadence ou de barbarie ; l’une naît dans la lumière, les autres sont filles de la nuit. Il faut se résigner cependant, car de toutes les architectures, celle qui s’accorde le moins avec la religion chrétienne, c’est l’architecture grecque. Seulement il faut reconnaître comme une vérité que le Parthénon est non-seulement le chef-d’œuvre des temples antiques, mais aussi le plus beau monument d’architecture religieuse que l’Europe ait produit jamais.


EMILE BURNOUF.

  1. Eschyle, Euménides.