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deux bévues suffisent à montrer ce qu’on doit penser de cette informe rapsodie. Elle contient cependant un passage dont les apologistes de don Pèdre ont prétendu tirer un grand parti. « Il existe deux chroniques de don Pèdre, dit l’interpolateur, une vraie et une fausse, la dernière composée tout exprès pour justifier son meurtrier. » Un glossateur de Gratia Dei, nommé don Diego de Castilla, suivant quelques érudits, doyen de Tolède, et peut-être se disant arrière-bâtard de don Pèdre, a commenté cette phrase. A l’en croire, l’auteur de la chronique véritable serait un don Juan de Castro, d’abord évêque de Jaen, puis de Palencia, lequel, de peur de se compromettre, aurait tenu son histoire secrète ; mais pourtant le maître d’hôtel de la reine Léonor en aurait eu connaissance. Ensuite un seigneur Carvajal, conseiller de Philippe V, aurait découvert le manuscrit de Juan de Castro dans le monastère de Guadalupe, et l’aurait emprunté sans vouloir le rendre. A sa mort, les moines s’étant avisés de redemander leur manuscrit, les héritiers de Carvajal leur en auraient renvoyé un autre, le premier étant détruit, à ce qu’on suppose[1]. Le comte de la Roca ajoute encore quelques traits de sa façon à ce récit merveilleux. Suivant cet auteur, l’évêque de Jaen ou de Palencia, qu’il nomme don Juan Rodriguez et qu’il paraît confondre avec le maître d’hôtel de la reine Léonor, aurait écrit deux chroniques, l’une vraie, l’autre fausse, travaillant ainsi pour tous les goûts, à l’exemple de Procope, qui, après avoir fait un panégyrique de Justinien, composa contre lui une satire. Mais qui jamais a vu cette chronique véritable, à moins qu’on ne donne ce nom à l’absurde interpolation que je viens de citer ? Et en admettant même qu’elle ait jamais existé, quelle confiance devrait-on avoir dans un auteur qui écrit tour à tour le vrai et le faux, suivant le profit ? Une dernière considération fera justice de ces prétendus documens, dont l’existence même est incertaine et l’autorité inadmissible, en présence d’un monument comme la chronique d’Ayala, confirmé par tant de témoignages authentiques. Moins de vingt ans après la mort de don Pèdre, doña Catalina, sa petite-fille, épousa le petit-fils de Henri de Trastamare. Ce mariage réunissait les rejetons des deux branches rivales et faisait cesser légalement l’usurpation. À cette époque, rien n’empêchait qu’on ne rendît justice à don Pèdre. Bientôt après, une de ses petites-filles, doña Costanza, lui faisait élever à Madrid un tombeau magnifique ; un autre de ses descendans, don Francisco de Castilla, faisait publiquement son éloge dans de mauvais vers adressés à l’évêque de Calaliorra, également arrière-petit-fils de don Pèdre[2]. Si une chronique honorable pour sa mémoire

  1. Senanario erudito, t. 27, p. 28. Nicolas Antonio de Séville prouve fort bien que ce prétendu manuscrit de l’évêque de Jaen n’est autre qu’un exemplaire de la chronique vulgaire d’Ayala. Bib. Hispana velus, X, I.
  2. Practica de les virtudes de los buenos reges de España en versos de arte mayor, Zaragoza, 1552, p. 28.