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depuis la sévère leçon qui punit cette tentative[1], il était devenu un sujet fidèle et semblait avoir perdu l’humeur perturbatrice de sa jeunesse. Touché de la générosité avec laquelle le roi usa de sa victoire, il s’était franchement attaché à sa personne. La force avait abattu sa résistance, les vertus chevaleresques de don Alphonse achevèrent sa défaite en le séduisant. Son dévouement nouveau alla jusqu’à lui faire oublier l’orgueil de sa race, et il avait consenti à fiancer sa nièce doña Juana de Villena à don Henri de Trastamare, et sa fille aînée à don Tello, le troisième des fils de doña Léonor.

À côté de ces deux seigneurs, déjà dans la maturité de l’âge, habiles capitaines et profonds politiques, venait se placer un jeune homme que sa haute naissance, beaucoup plus que son mérite personnel, appelait à jouer un rôle dans les révolutions que l’on pouvait prévoir. C’était don Fernand, infant d’Aragon, marquis de Tortose et seigneur de l’Albarracin[2] Il était fils de doña Léonor, sœur d’Alphonse de Castille et seconde femme du feu roi d’Aragon, Alphonse IV. Après quelques tentatives impuissantes pour se créer un parti en Aragon, suspect à son frère, Pierre IV, le roi régnant, il s’était retiré en Castille avec sa mère et un frère du même lit, nommé don Juan. En 1347, lorsque le royaume de Valence et quelques autres provinces se soulevèrent contre Pierre IV[3], don Fernand était venu s’offrir pour chef aux rebelles. Vaincu à la bataille d’Epila, il avait eu le bonheur d’être fait prisonnier par des Castillans auxiliaires de Pierre IV, qui, au lieu de le livrer à son frère, le ramenèrent à la cour de don Alphonse. Étranger à la Castille par sa naissance, à l’Aragon par l’exil où il était condamné depuis ses entreprises impuissantes, il demeurait cependant le prétendant éloigné à ces deux couronnes, et pouvait se faire illusion sur son importance en voyant toutes les factions disposées à se servir de son nom pour leurs propres intérêts.

  1. Il fut assiégé par le roi dans son château de Lerma, et obligé de se rendre à discrétion en 1335. Cronica de don Alfonso VI, p. 323.
  2. Petite province dépendant aujourd’hui du royaume d’Aragon. La ville d’Albarracin, située au milieu d’âpres montagnes, était une des plus fortes de l’Espagne. Ses seigneurs défendirent long-temps leur indépendance contre les rois de Castille et d’Aragon.
  3. Plusieurs grandes villes, entre autres Saragosse et Valence, ainsi qu’un nombre considérable de riches-hommes aragonais ou valenciens avaient formé une ligue qu’on appela l’Union, pour se garantir mutuellement leurs droits et leurs privilèges. Les Valenciens réclamaient des institutions aussi libres que l’étaient alors celles de la Catalogne et de l’Aragon. Tous les ligueurs, accusant le roi de partialité pour ses sujets catalans, l’obligèrent à bannir de son conseil don Bernal de Cabrera, son ministre, et ses plus fidèles serviteurs, enfin, à reconnaître don Fernand pour son héritier, au préjudice de sa propre fille. Quelque temps ils le retinrent prisonnier dans les murs de Valence ; mais, pendant sa captivité, Pierre IV eut l’art de gagner les principaux chefs de l’Union. Dès qu’il put s’échapper, il se hâta de révoquer toutes les concessions qui lui avaient été arrachées, et bientôt après détruisit la ligue en battant complètement les rebelles à Epila.