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reine-mère, et gardé par Gutier Fernandez de Tolède, un de ses hommes-liges. Léonor n’y languit pas long-temps. Peu de jours après son arrivée, un clerc de la reine remit au gouverneur un ordre de mort. L’exécution eut lieu avec mystère, et il est certain que don Pèdre y fut complètement étranger. Sans doute la reine avait exigé d’Alburquerque le sacrifice de sa rivale, que ne protégeait plus la pitié de don Juan Nuñez de Lara. Elle obtint ses dépouilles de la faiblesse du roi, et les immenses domaines que don Alphonse avait donnés à sa maîtresse furent dévolus à celle qui venait de prononcer son arrêt de mort. « Plusieurs dans le royaume, dit Ayala, en furent marris, prévoyant que, d’un tel fait, naîtraient guerres et scandales, pour tant que Léonor avait fils déjà grands et trop bien apparentés[1]. » Mais l’heure de la vengeance n’était pas venue, et les fils de Léonor courbaient le front devant ses assassins.

Don Pèdre, poursuivant sa route avec rapidité, avait prévenu à Valladolid l’arrivée des députés des villes. Sous prétexte de leur laisser le temps de se réunir, Alburquerque conduisit son pupille avec une petite armée dans plusieurs provinces de ses états. D’abord il se rendit à Palencia, dans le royaume de Léon, se rapprochant ainsi de don Tello, le troisième fils de Léonor, enfant de quinze ans à peine, qui, à l’exemple de ses aînés, se tenait éloigné de la cour, enfermé dans le château de Palenzuela. On semblait craindre qu’il ne fît quelque résistance, et, pour la prévenir, on lui envoya don Juan Garcia Manrique, riche-homme de Castille, chargé tout à la fois de le rassurer sur les dispositions de don Pèdre et de gagner les chevaliers qui le dirigeaient. Manrique réussit dans sa mission et ramena don Tello à Palencia. Instruit par son guide, don Tello courut baiser la main de son frère. — « Don Tello, lui demanda le roi, savez-vous que votre mère, doña Léonor, est morte ? — Sire, répondit l’enfant déjà courtisan, je n’ai d’autre mère ni d’autre père que vos bonnes graces[2]. »


II.

Alburquerque avait eu bon marché de ces jeunes princes ; maintenant il allait essayer son pouvoir contre des adversaires plus redoutables. C’était surtout la riche commune de Burgos que menaçait sa vengeance. Les bourgeois de cette ville, la plus importante de toute la Castille-Vieille, et les riches-hommes confédérés avec eux, ne cachaient point leur haine contre son gouvernement. Lorsque la maladie de don Pèdre avait révélé les sentimens de tout le royaume au sujet des prétendans à la couronne, Burgos s’était ouvertement prononcé pour don Juan

  1. Ayala, p. 36.
  2. id., p. 37.