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nombreuses si vite apportées en si peu de temps. Elles se sont trop violemment succédé pour s’être déjà fondues, et les dissidences qui nous frappaient tout à l’heure proviennent toutes de ces brusques mouvemens. La Prusse administrative n’est pas une, j’y compte jusqu’à cinq formations ; la Prusse territoriale n’est pas une, il y a huit états qui sont chacun une Prusse différente. Le territoire de la Prusse contient huit provinces, dont aucune ne reconnaît naturellement de sœur, dont deux ou trois au plus s’allient à peu près. L’administration de la Prusse a changé cinq fois en trois quarts de siècle, et chaque fois elle a déposé sur le pays des germes qui devaient tous grandir en se contrariant tous.

Nous aussi, vraiment, nous avons subi les variations de ces rapides années ; mais, en bons logiciens que nous sommes, nous ne les subissions pas à moitié : un régime chassait l’autre, et tout nouvel arrivant agissait comme s’il eût été premier occupant. La restauration maudit l’empire, l’empire avait bafoué le directoire, le directoire avait renié la convention. Rien ne s’est ainsi perpétué que ce qu’on ne pouvait pas démolir. En Prusse, au contraire, les époques se sont pour ainsi dire accumulées sans jamais se remplacer tout-à-fait. Dans la Prusse d’aujourd’hui, qui ne retrouverait facilement, qui ne distinguerait la Prusse du grand Frédéric, celle des deux Frédéric-Guillaume jusqu’en 1806, celle de 1806 à 1816, celle enfin de 1816 à 1840 ? Toutes ces influences, toutes ces inspirations d’origine si diverse, coexistent encore à présent et se trahissent par leurs chocs, même au milieu de la fanfare que sonnent depuis sept ans les derniers venus. Il semble que ceux-ci veuillent récapituler en eux tout le passé : voyez plutôt, n’est-ce pas la suite de leurs ancêtres qui défile avec eux devant nous ?

Le génie guerrier de Frédéric II fait de la Prusse une puissance militaire ; son esprit philosophique entreprend déjà d’y organiser l’état, son humanité veut y assurer d’abord au peuple les conditions matérielles du bien-être. — Sous ses successeurs, jusqu’au moment où de cruelles nécessités imposent d’énergiques efforts, jusqu’au réveil de 1806, deux travers s’introduisent dans la conduite des affaires prussiennes, deux vices qui les ont bien souvent gâtées : la routine et l’indécision. — Le mémorable élan de 1806 substitue l’esprit nouveau de 89 à ce vieil esprit de réforme autocratique dont Frédéric avait été le héros ; on prétend tout ordonner, tout restaurer, non pas à l’aide du zèle bénévole d’un prince absolu, mais par l’infaillible essor des libertés populaires. Cet essor admirable sauve du moins la patrie du joug de l’étranger, s’il ne l’affranchit pas du joug intérieur, et le souvenir en reste au fond des ames pour y nourrir l’espérance pendant vingt-cinq ans de froide réaction. — Vingt-cinq années durant, la Prusse porte la peine de la part qu’elle a prise dans la sainte-alliance de 1815 ; elle souffre