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civile allumée, pillaient et dévastaient le pays sur leur passage[1]. Pour un seigneur féodal, c’était alors la manière la plus usitée de témoigner son mécontentement. Alburquerque, s’il n’encouragea pas ces excès, ne prit aucune mesure pour les réprimer, satisfait sans doute de compromettre ses adhérens et de s’assurer leur fidélité par la crainte des vengeances qu’ils s’attireraient à son service.

Tout entier à ses amours, don Pèdre ne songeait nullement à poursuivre le fugitif, et célébrait par des carrousels et des fêtes ce qu’il appelait son véritable avènement au trône. Tandis que toute la jeune cour s’égayait aux dépens du ministre disgracié, doña Maria de Padilla, satisfaite d’avoir montré l’étendue de son pouvoir, donnait un exemple de modération singulière dans sa position. Elle conseilla au roi de retourner à Valladolid pour quelque temps, et de revoir sa femme, afin d’éviter le scandale et de sauver les apparences. Assurée du cœur de son amant, elle s’occupait de sa gloire, toutefois sans vouloir s’y sacrifier. Don Pèdre, obéissant avec une répugnance marquée, reparut à Valladolid, et demeura deux jours dans le même palais que la reine Blanche. Puis, comme lassé d’une comédie qu’il jouait mal, il revint aussitôt auprès de sa maîtresse. Vainement les Padilla le supplièrent-ils de prolonger son séjour, ils ne purent obtenir de son impatience qu’il s’arrêtât une heure de plus. Ce fut la dernière fois qu’il vit sa femme, et ce rapprochement si brusquement terminé semblait n’être qu’un outrage de plus. Le vicomte de Narbonne et les seigneurs français qui avaient accompagné la reine Blanche en Castille s’éloignèrent indignés et sans prendre congé du roi. La reine-mère conduisit l’épouse délaissée à Tordesillas, sur le Ducro, à peu de distance de Valladolid[2]. C’était la résidence ou plutôt l’exil que don Pèdre lui assignait.

C’est le rêve ordinaire des ministres disgraciés de croire qu’une révolution suivra leur retraite. Enfermé dans son château de Carvajales, Alburquerque voyait avec dépit l’indifférence de la Castille. Bien que l’on blâmât généralement la conduite du roi à l’égard de sa femme, on avait applaudi à son généreux dessein de gouverner par lui-même ; on l’avait vu avec plaisir se réconcilier avec ses frères, et surtout rendre sa faveur au parti des Lara, dont le nom était toujours populaire dans la plupart des provinces. Marie de Padilla se montrait douce et serviable, cherchant à cacher sa puissance, ou ne la révélant que par des bienfaits ; ses parens étaient habiles, et l’on convenait qu’ils servaient bien le roi. Qu’importait aux communes et à la plus grande partie de la noblesse que quelques charges de cour fussent occupées par les créatures d’Alburquerque ou par les parens de la favorite ? Sauf un petit

  1. Ayala, p. 104, Abreviada. V. Note 2.
  2. Ayala, p. 105 et suiv.