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cavaliers qui se trouvaient réunis dans la commanderie, et à la tête de cette petite troupe brave et dévouée de se faire jour au travers des milices mal exercées de La Cerda. « Si nous les battons, disait-il, la route d’Aragon nous est ouverte : sinon nous mourrons les armes à la main comme des prud’hommes. » - « Non, répondit Nuisez ; jamais on ne me reprochera d’avoir été déloyal à mon souverain. Qu’il se présente lui-même, et je me mettrai à sa merci. » A l’approche du roi, les portes du château s’ouvrirent, et le maître vint lui-même apporter ses clés. Aussitôt il fut arrêté[1]. Le roi le déposa et enjoignit aux chevaliers de l’ordre de lui donner pour successeur Diego de Padilla. Il n’admettait aucune excuse, et le semblant d’élection fut consommé sur l’heure même. Dès que Padilla eut reçu le sceau de l’ordre et le serment des frères, le roi lui livra le malheureux Nuñez de Prado, redevenu simple chevalier, et comme tel justiciable du nouveau maître. Padilla le fit conduire dans le château de Maqueda, où peu de jours après on le mit à mort. Le roi blâma, dit-on, cette cruauté inutile, dont il paraît n’avoir été instruit que lorsqu’il était trop tard pour s’y opposer.

Nuñez de Prado n’était ni aimé, ni estimé dans son ordre, et sa mort fut considérée comme un juste châtiment de sa conduite passée. Par ses intrigues et son insubordination, il avait enlevé la maîtrise à son prédécesseur, don Garci Lopez de Padilla, qui lui avait donné l’habit de Calatrava. À cette occasion, il avait encouru l’excommunication d’un légat du pape chargé de mettre fin au schisme qui divisait les chevaliers[2] ; mais, aux yeux de don Pèdre, son principal crime était son attachement à don Juan d’Alburquerque ; le roi était encore animé contre lui par Diego de Padilla[3], qui, préparant sans doute de longue main son élection, s’était ménagé un parti puissant dans l’ordre de Calatrava, et, par son crédit, y avait fait entrer un grand nombre de ses créatures.


P. MÉRIMÉE.

  1. Cfr. Ayala, p. 116 et suiv. Rades, Cron. de Calat., p. 54. — Suivant ce dernier, le maître de Calatrava aurait été arrêté pendant qu’il était à table avec le roi. Le récit d’Ayala m’a paru le plus vraisemblable. Rades d’ailleurs ne cite pas ses autorités.
  2. Rades, Cron. de Calat., p. 51.
  3. La conformité des noms donne lieu de supposer que Diego de Padilla, frère de la maîtresse du roi, était parent de l’ancien maître de Calatrava supplanté par Nuñez de Prado.