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à toutes les horreurs d’une prise d’assaut. Tout cela était très vrai, et la seule observation qu’on puisse se permettre, c’est que c’était vrai avant comme après.

Le commandant militaire de Fribourg, M. de Maillardoz, a compris que ce dénoûment inattendu demandait quelques éclaircissemens, et ceux qu’il a donnés sont, il faut le dire, de nature à le justifier personnellement. Il n’avait que 5,000 hommes de troupes et environ 5,000 de landsturm. Ces derniers bivouaquaient dans la campagne ; mais, dit le rapport, « ils rentraient souvent en ville pour se chauffer et prendre quelque chose de chaud. » Cela nous a rappelé ce qui se passait à Bruxelles pendant les trois jours de la révolution belge ; les Hollandais étaient dans le parc, les Belges occupaient le reste de la ville, et, d’un commun accord, accord tacite et instinctif, le combat était suspendu pendant l’heure des repas. Les Fribourgeois commençaient donc à se refroidir ; ils n’avaient aucune nouvelle du dehors, ne savaient pas ce qu’on faisait du côté de Lucerne ; le conseil d’état se rassembla et délibéra. Dès qu’on délibérait, c’était fini. Il enjoignit au commandant de la place de suspendre les hostilités pendant les négociations. Le feu de l’enthousiasme tomba comme un feu de paille. « Les landsturms, dit M. de Maillardoz, étaient allés chercher du chaud. » C’était le conseil d’état qui donnait les ordres ; le commandant refusa de se mêler de la capitulation, il ne signa rien, et déclara au corps délibérant qu’il se regardait comme licencié.

Fribourg s’est épargné une prise d’assaut ; pour le reste, il n’a rien gagné. Il a été traité en pays conquis. Ce n’est malheureusement pas le général vainqueur qui en est resté le maître ; la commission de la diète n’a pas tardé à le supplanter et à prendre elle-même possession de sa conquête. On sait ce qu’elle en a fait. Elle a aussitôt envoyé trois délégués, trois commissaires, comme on faisait au bon temps de la terreur, et a mis les troupes à leur disposition. Le général en chef est parti, emportant avec lui ce qu’il pouvait y avoir d’ordre et de discipline dans cette armée d’invasion. 14,000 soldats ont été mis en quartiers dans une ville de 9 à 10,000 ames ; on les a vus, après avoir pillé les caves, forcer les églises, renverser les autels, chanter la Marseillaise en chasubles, et, pour rendre hommage aux sentimens d’une population religieuse, tirer à la cible sur des statues de la Vierge. On les a vus abattre un prêtre à coups de fusil pour s’épargner la peine de courir après. La honte de ces excès a été consignée dans un ordre du jour du colonel Rilliet-Constant, qui du moins a été une sorte d’expiation. Aujourd’hui Fribourg est livré à toutes les douceurs du régime révolutionnaire légal. Les commissaires fédéraux ont rassemblé 500 citoyens du canton, et leur ont fait nommer un gouvernement provisoire. Ce gouvernement a commencé par exiler et proscrire non-seulement les jésuites, mais toutes les congrégations religieuses, jusqu’aux frères qui enseignaient les enfans, jusqu’aux sœurs qui soignaient les malades. Tous leurs biens meubles et immeubles ont été confisqués et réunis au domaine public, et afin que rien n’échappât à la rapacité des vainqueurs, les contrats passés depuis un mois ont été déclarés nuls. Voilà le gouvernement des proconsuls ; voilà comment les radicaux traitent les villes qui se rendent ; comment traiteraient-ils celles qui ne se rendent pas !

Fribourg devait tomber tôt ou tard : c’était une sentinelle avancée et isolée ; mais la prolongation de sa résistance importait à la cause de la ligue, c’était une diversion ; tant que le général en chef était occupé de ce côté, il ne pouvait diriger contre Lucerne et les petits cantons tout l’effort de l’armée radicale. Pen-