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mais avant qu’ils prissent la parole, Alburquerque, connaissant l’objet de leur mission, supplia le roi de l’entendre. Dans un discours rempli de fierté il exposa la conduite qu’il avait tenue en Castille pendant qu’il était à la tête des affaires. Après avoir rappelé avec adresse les nombreux services rendus par lui à la reine Marie, fille de don Alphonse, sacrifiée par son époux à une indigne rivale, il essaya de justifier en ces termes les actes de son administration, ou plutôt il en fit ce magnifique éloge « J’ai délivré mon roi, dit-il, d’une faction redoutable, je lui ai ménagé une alliance avantageuse avec la maison de Bourbon, alliance que de perfides conseils s’efforcent de rompre aujourd’hui. J’ai cimenté l’union de la Castille avec tous les royaumes chrétiens de l’Espagne. Pour prix de mes services, je n’ai voulu ni argent ni terres. Le roi a disposé comme il lui a plu des biens de Garci Laso et d’Alonso Coronel. J’ai refusé de profiter de ces confiscations (2). M’accuse-t-on d’avoir détourné quelque chose du trésor royal confié à ma garde ? Qu’on examine mes comptes, et l’on verra quelle fut mon intégrité. Je me fais cette gloire, que, pendant mon administration, aucune taxe nouvelle n’a été imposée au peuple de Castille. Que si quelqu’un prétend que j’ai été déloyal envers mon seigneur le roi, je suis prêt à prouver mon innocence par mon corps, si vous le permettez, sire, et me donnez le champ clos, car, en Castille, je n’aurais pas sûreté. Si le comte don Henri et le maître de Saint-Jacques veulent se porter demandeurs pour leur frère, j’accepte le combat, homme pour homme, jusqu’à cent contre cent. Je répondrai au Comte, et don Gil de Carvalho, maître de Saint-Jacques de Portugal, me secondera contre don Fadrique[1]. »

À ce discours superbe, les envoyés de Castille répliquèrent avec vivacité : qu’avant d’éclater en bravades Alburquerque avait à se justifier devant son souverain, qui était son seul juge ; et, de la part de leur maître, ils demandèrent au roi de Portugal de contraindre l’accusé à se rendre en Castille. D’un côté, le maître portugais de Saint-Jacques soutenait hautement Alburquerque, de l’autre, les riches-hommes castillans venus aux noces de l’infant d’Aragon prenaient parti pour les ambassadeurs de leur souverain. La querelle s’échauffant, il y eut des injures et des provocations échangées, et, sans la prudence du roi de Portugal, les deux partis en fussent peut-être venus aux mains en sa présence. Alphonse, voulant gagner du temps, répondit qu’Alburquerque se justifierait sans doute, et que, quant à lui, il allait envoyer à son petit-fils le roi de Castille des ambassadeurs qui ménageraient un accommodement.


II.
  1. Ayala, p. 121 et suiv.