Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/972

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV.

Chaque jour révélait au roi la grandeur du plan formé par les bâtards et leur connivence avec tous les mécontens de la Castille. Dans le nord, un allié puissant se déclarait en leur faveur : c’était don Fernand de Castro, frère de doña Juana, cette épouse d’un jour que don Pèdre venait d’abandonner. Il avait de nombreux vassaux et une clientelle presque royale en Galice. Déjà irrité par l’affront fait à sa sœur, il avait encore un autre motif pour se joindre aux factieux. Il aimait doña Juana, fille naturelle de don Alphonse et de doña Léonor, et, pour prix de sa défection, le comte de Trastamare lui faisait espérer la main de sa soeur. La vengeance et l’amour, les deux grandes passions chevaleresques, le distinguaient du reste des rebelles, mus seulement par l’ambition ou la cupidité. Fernand de Castro n’était pas moins pointilleux que Sandoval en matière d’honneur, et avant de prendre les armes il lui fallut mettre sa conscience en repos. Le code féodal lui en fournissait les moyens. Pour se dégager de l’hommage dû au roi, voici l’expédient qu’il employa. Il passa le Miño, qui sépare la Castille du Portugal, et vint camper à Monzon sur le territoire portugais. Chaque jour, après avoir entendu la messe, il traversait à gué le Miño, et entrait à Salvatierra, premier bourg de Castille qui s’offre au voyageur parti de Monzon. Là, devant un notaire public, il prononçait ces paroles : « Je prends congé du roi don Pèdre, roi de Castille et de Léon, et m’en dénature pour les causes suivantes : premièrement, parce que ledit roi a voulu me faire mourir dans un tournoi à Valladolid, à l’époque de son mariage avec Blanche[1] ; deuxièmement, parce qu’il a outragé ma sœur, disant d’abord qu’il la prenait pour femme et pour reine, et la quittant ensuite après l’avoir traitée avec mépris. » Après chacune de ces déclarations, il en recevait un acte authentique délivré par le notaire. Munis des neuf procès-verbaux, Fernand se crut délié du serment d’allégeance, et cette fois, quittant le Portugal pour n’y plus rentrer, il se hâta d’armer ses vassaux et de recruter des soldats. Bientôt à la tête d’environ sept cents chevaux et douze cents hommes de pied, il envahit le nord du royaume de Léon, s’empara de Pontferrada et s’y établit pour attendre ses alliés déjà en pleine marche vers la province de Salamanque[2].

Alburquerque et don Henri, sans s’amuser à de vaines formalités, avaient passé le Tage sur le pont d’Alcantara après avoir dévasté tous les environs de Badajoz. Obligés de laisser des garnisons dans une multitude de petites forteresses, ils n’avaient en campagne qu’un gros de

  1. J’ignore absolument sur quoi cette accusation était fondée.
  2. Ayala, p. 135 et suivantes