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lui demander des secours qu’il désespérait de trouver dans ses propres états. Sa lettre, qui fait connaître le style diplomatique de l’époque, révèle quelques traits du caractère du jeune roi, et mérite à ce titre d’être rapportée

« Don Pèdre, par la grace de Dieu roi de Castille, etc., à vous, infant don Pèdre d’Aragon, salut, comme à celui que nous aimons et estimons et à qui souhaitons heur et honneur. Nous vous faisons savoir que les infans don Fernand et don Juan, nos cousins et frères du roi d’Aragon, vivant avec nous et dans notre royaume, étant nos vassaux et tenant de nous grandes charges en notre maison et dans notre royaume, où l’infant don Fernand est grand adelantade de la frontière et grand chancelier, et l’infant don Juan notre grand porte-enseigne, l’un et l’autre tenant de nous trop grandes terres dont ils nous doivent servir, recevant de plus solde de notre trésor pour nous aider dans la guerre que nous avons contre le Comte[1] et don Fernand de Castro, tandis que, n’entendant qu’à nous servir d’eux, les avions près de nous, eux s’en sont départis en secret et sont allés se joindre audit Comte, à don Juan Alonso[2] et à don Fernand. Ils ont emmené avec eux don Tello[3], et ont fait traité et pacte tous ensemble d’être contre nous. De fait, incontinent, ont commencé tous et chacun à faire maux sans nombre en ce pays et y mouvoir la guerre. Et combien qu’avec la grace de Dieu, nous puissions remettre l’ordre et faire un exemple de ceux qui ont eu part en cette grande méchanceté et abandon de leur seigneur et roi, nous avons trouvé bon de vous en instruire, certain que vous l’aurez à cœur, et nous aiderez contre lesdits infans. C’est pourquoi nous vous prions d’être avec nous contre eux et leurs adhérens, de leur faire tout mal et dommage en leurs terres, de leur prendre ce qu’ils ont, tant qu’il ne leur reste plus ni moyen ni pouvoir de nous desservir jamais, non plus que vous ou le roi d’Aragon. Par quoi ferez ce que raison et ce que nous ferions pour vous, si, par male fortune, vous trouviez en telle nécessité. De Tordesillas, le 28 d’octobre, l’an de l’ère 1392 (1354)[4]. » On le voit, cette lettre est empreinte d’une fermeté calme qui n’est point sans grandeur. La dernière injure est pour don Pèdre la plus sensible. Toute sa colère se tourne contre les infans d’Aragon. Il oublie ses frères ; pas un mot amer contre don Henri ; il ne parle pas de don Fadrique, et s’il nomme don Tello, c’est pour l’excuser en quelque

  1. Don Henri, comte de Trastamare, est presque toujours ainsi désigné. Il signe, Moi, le Comte. Il était alors en effet le seul comte en Castille ; les riches-hommes ne portaient pas encore de titres.
  2. Don Juan Alonso d’Alburquerque.
  3. C’était au contraire don Tello qui était venu chercher les infans en Castille. Nous aurons plus d’une fois à remarquer les ménagemens de don Pèdre pour don Tello.
  4. Zurita, Anales de Aragon, tome II, p. 259.