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le poids des redevances féodales ; il n’a qu’imparfaitement racheté sa liberté, et il est souvent lui-même étonné d’apprendre qu’il en a déjà plus qu’il ne savait, plus peut-être qu’il n’en demande. Le haut baron-propriétaire est élevé scrupuleusement au sein de la plus dévote ignorance. Toujours à cheval ou à l’écurie, membru, trapu, la tête dans les épaules, une mauvaise jacquette de velours râpée sur le dos, chaussé de bottes fortes et culotté de daim, le haut baron du cercle de Munster ou de Paderborn passe fièrement son heureuse existence à ruminer son blason et à courir toutes bêtes. Il s’habille l’hiver et vient jouer dans l’ancienne ville épiscopale l’argent de ses troupeaux ou de ses bois ; mais il ne fraie guère avec les autorités provinciales, il répond en maugréant à leurs avances, et fait régulièrement la sourde oreille quand on lui parle d’aller visiter la cour à Potsdam ou d’envoyer ses enfans à Berlin. Pour ces chers rejetons de sa race, il les expose le moins qu’il peut à servir dans le même régiment ou dans le même bureau que des hérétiques et des roturiers. Ce n’est point là, sans doute, une aimable noblesse. La Westphalie du midi n’a pas non plus d’aimables prolétaires.

Tout change au midi : la population est çà et là protestante, partout industrielle, au lieu d’être partout agricole et catholique ; la terre s’embellit en se vivifiant. De riches petites villes se serrent toutes de près et remuent avec une activité incroyable, Hagen, Dortmund, Iserlohn, Hamm, puis, même en faisant une pointe vers le nord, entre les deux évêchés de Paderborn et de Munster, le comté de Ravensberg et la ville de Bielefeld. On trouve là des mines de fer et de charbon, des affineries et des tréfileries, des filatures et des fabriques de drap. La Ruhr porte une batellerie très occupée. Ces biens précieux sont gâtés cependant par de fâcheuses compensations. Je ne m’effraierai jamais beaucoup du communisme en général, et du communisme allemand en particulier ; le gouvernement prussien y croit, dit-il, et en a peur. La Westphalie du midi doit tout au moins lui donner de sérieuses inquiétudes : non pas qu’il y ait là plus qu’ailleurs à s’alarmer excessivement de la propagande des doctrines, mais il y faut craindre la contagion de la souffrance. Le péril n’est point dans les esprits de travers qui prêchent aux carrefours un socialisme pédantesque, lourdement copié sur les originaux français : il est, par exemple, dans la détresse des tisserands à la main qui entourent Bielefeld, dans l’amas affamé de la population flottante attirée sur toute cette région par les travaux des chemins de fer. Puis on a la mémoire longue en Allemagne : les furieux anabaptistes du XVIe siècle sont devenus aujourd’hui les riches et pacifiques mennonites ; mais, sur le sol même où se déchaînaient leurs ancêtres en religion, il ne manque point d’instigateurs pour rappeler aux misérables le sac de Munster et la royauté de Jean