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ne voulait pas s’enfermer dans une place que les hasards de la guerre pouvaient d’un moment à l’autre faire tomber entre les mains du roi. Déjà, lorsque don Pèdre, en 1352, s’était disposé à l’attaquer dans Gijon, le Comte, au lieu de l’y attendre, s’était retiré dans les montagnes, soigneux de se tenir toujours une retraite assurée. Persuadé qu’il n’y a pas de places imprenables, il s’était fait une loi de ne jamais confier sa fortune à des murailles.

Tandis qu’on guerroyait autour de Toro, l’infant d’Aragon, don Juan, attaquait don Tello en Biscaïe. Bien que l’infant fût personnellement intéressé à la conquête de cette province, car, marié à la seconde fille de don Juan Nuñez de Lara, il se flattait que la seigneurie de Biscaïe lui serait dévolue s’il parvenait à en chasser don Tello, les opérations militaires furent conduites mollement, et les troupes royales n’obtinrent aucun succès. Composées en majeure partie de cavalerie[1], elles avaient un grand désavantage dans un pays de montagnes dont les habitans, naturellement hardis et belliqueux, deviennent invincibles lorsqu’ils combattent pour leurs foyers. Mais le plus grand obstacle aux progrès du roi, c’était le mauvais état de ses finances. Simuel et Lévi eut l’art de créer de nouvelles ressources à son maître, et, malgré le désordre général, il réussit à lui procurer de l’argent et même à lui amasser un trésor, ce qui, à cette époque, passait pour la plus grande preuve de génie dans un financier. L’anecdote suivante, rapportée par Ayala, fera connaître les moyens assez vulgaires employés par le Juif pour remplir les caisses du roi.

Don Pèdre, dans son quartier de Morales, s’amusait un jour à jouer aux dés. Devant lui était exposée tout ouverte sa caisse militaire, qui était aussi sa bourse de jeu. Elle contenait 20,000 doubles. « Or et argent, dit le roi d’un ton mélancolique, voilà tout mon avoir. » Le jeu fini, Simuel tira le prince à l’écart. — « Sire, dit-il, aujourd’hui vous m’avez fait affront devant toute la cour. En effet, étant votre trésorier, n’est-ce pas une honte pour moi que mon maître ne soit pas plus riche ? Mais jusqu’à présent vos receveurs ont trop compté sur votre indulgence et votre facilité. Maintenant que vous êtes d’âge à régner par vous-même, que toute la Castille vous aime et vous craint, il est temps de mettre fin au désordre. Veuillez seulement m’autoriser à traiter avec vos gens de finance et me confier deux de vos châteaux. Je vous garantis qu’avant peu vous aurez dans chacun un trésor qui vaudra mieux que le contenu de cette cassette. » On juge bien que le roi s’empressa de donner à Simuel ses pleins-pouvoirs et les châteaux qu’il demandait, non sans raison, car il fallait alors une forteresse bien enmurée pour garder un trésor. Voici comment le Juif accomplit sa promesse.

  1. Ayala, p. 195.