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entrevue avec sa fille. Cette visite était intéressée, dit-elle en finissant ; après y avoir réfléchi, j’ai jugé qu’il’ n’était venu que pour obtenir d’Alice qu’elle apposât son nom au bas de certains papiers.

— Pauvre innocente fille, sans qu’elle s’en doutât, il lui aura fait signer ainsi sa ruine! s’écria le baron de Barjavel. Je me la rappelle maintenant cette demoiselle de Champguérin à la bavette, comme disait notre grand-oncle, elle était tout-à-fait mignonne et jolie comme un ange.

— Vous l’avez entrevue tantôt, répondit la prieure en souriant ; quand je suis venue, elle sortait du parloir.

— Une jeune demoiselle blonde, mince et blanche comme un cygne! Oui, sans. doute, je l’ai vue, elle était agenouillée devant ce tas de fleurs ; à notre aspect, elle a jeté là ses bouquets et s’est enfuie tout effarouchée.

— Ne trouvez-vous pas, mon cousin, qu’elle n’a aucun des traits de son père? dit la prieure.

— Non, par bonheur pour elle, répondit Antonin ; M. de Champguérin avait autrefois un beau visage et une grande tournure, mais je lui trouvais dans la physionomie quelque chose de violent qui me causait une certaine répulsion. Hélas! comment ma mère ne l’a-t-elle pas jugé ainsi! comment s’est-elle déterminée à ce fatal mariage?

— Elle était aveuglée ! murmura la mère Saint- Anastase soupirant profondément.

L’abbé Gilette, qui , durant cet entretien, s’était tenu discrètement à l’écart, se rapprocha alors de la grille en ouvrant une petite boîte d’écaille ornée de fines incrustations

— Madame, dit-il à la prieure, permettez-moi de vous offrir une chose unique dans son genre : c’est une pierre précieuse qui se forme, assure-t-on, dans le fruit du cocotier ; celle-ci est la plus grosse qu’on ait jamais rencontrée.

La mère Saint-Anastase reçut avec de grands remerciemens le don du vieux naturaliste ; c’était une espèce de caillou noir et blanc, gros comme une aveline et qui ressemblait à tous les cailloux du monde.

— Nous avons rapporté bien d’autres raretés de nos voyages, dit le baron en souriant du sérieux avec lequel le digne abbé avait offert cette petite pierre, je vous avais promis, ma bonne Clémentine, de vous rapporter de magnifiques collections ’histoire naturelle, et ai tenu parole.

— Je verrai tout cela à travers la grille, répondit-elle avec une joie mélancolique ; à présent vous ne voyagerez plus, mon cher Antonin, je jouirai chaque jour de votre chère présence ; que béni soit le Seigneur qui m’a envoyé cette consolation!

Lorsque la mère Saint-Anastase quitta le parloir, elle trouva Mlle de