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l’éponge qui servait à approcher le vinaigre des lèvres du Christ, la couronne d’épines qui déchirait son front, la lance qui ouvrait son côté, avec cette même fidélité laborieuse et puérile qu’il avait mise à retracer les moindres incidens du drame et à accuser les muscles, l’ostéologie et jusqu’aux villosités et rugosités de la peau de ses acteurs humains ou divins. Le réel tuait l’idéal. Plus tard l’imitation gagna en naturel et en vérité par cela même qu’elle devint moins littérale ; mais elle caractérisa toujours les productions des peintres néerlandais. L’idéal, tel que les écoles italiennes l’ont compris, n’existe que chez quelques grands artistes, Rembrandt, Rubens, Van-Dyck, mais jamais à l’état simple, jamais pur de tout alliage naturaliste. Cette tendance à l’imitation littérale se manifesta, comme nous l’avons vu, chez les Flamands dès le XIIIe siècle. Les miniaturistes eux-mêmes substituèrent alors l’imitation de la nature à la peinture traditionnelle et hiératique des artistes byzantins. Dans le siècle suivant, les maîtres de Cologne, Wilhelm et Stephan, tiennent encore à la tradition byzantine. Les Van Eyck, qui les continuent, inclinent vers l’imitation de la nature.

Le XIVe siècle fut l’époque de la plus grande prospérité des provinces flamandes. Leurs principales villes, Bruges, Gand, Malines et Louvain, pouvaient rivaliser avec les capitales des républiques italiennes, Gênes, Venise et Florence. Nulle condition n’est plus favorable au développement des arts que l’union de la richesse et de la liberté. Les arts, ce luxe de l’intelligence, veulent des appuis éclairés et des protecteurs fastueux : ils les rencontrèrent dans les Flandres ; mais tout porte à croire que, dans le principe, l’architecture fut celui, des arts du dessin que cette orgueilleuse bourgeoisie encouragea de préférence. Les monumens de la peinture, si nombreux au XVe siècle, sont fort rares au XIVe[1]. Il n’existe rien qui laisse à penser que les Flamands et les Hollandais aient jamais eu un sculpteur.

Les Flamands n’avaient pas de peintres que Cologne avait une école. Un passage du vieux poème de Parceval, de Wolfram d’Eschenbach, prouve que, dès le XIIIe siècle, le mérite des peintres de Cologne et de Maëstricht était proverbial chez les Allemands. Maître Wilhelm et Stephan, son élève chéri, combinèrent le style des maîtres qui les avaient précédés avec celui des peintres primitifs de l’Italie, que certainement ils connurent. Leur manière est la dernière évolution de ce style byzantin-rhénan que des écoles allemandes contemporaines ont remis en honneur, et qu’elles proclament l’expression la plus haute et la plus vraie de l’art chrétien. La réputation des maîtres de Cologne était sans égale au commencement du XVe siècle ; elle s’étendit dans

  1. On les a cherchés et comptés. On ne connaît que trois tableaux qui aient été exécutés dans les Flandres à la fin du XIVe siècle.