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comme nos couleurs à l’huile ; elles n’étaient pas fluides comme la détrempe ; elles n’avaient pas besoin d’être liquéfiées par le feu comme l’encaustique ; l’agent qui s’y trouve mêlé ne devait pas être prompt à sécher comme la gomme, le blanc d’œuf ou la colle : autrement le peintre n’eût pas fait les tas où il approvisionne sa palette si nombreux et si gros. Quelle était donc cette substance qu’au VIe siècle on mélangeait aux couleurs avant de les employer ? Selon toute apparence, elle avait, comme l’agent employé par les anciens peintres romains, une grande analogie avec l’huile.

Un moine allemand, Théophile, qui écrivait, à la fin du Xe siècle, un livre intitulé : De omni scientia artis pingendi, indique un procédé au moyen duquel on délayait les couleurs avec de l’huile de lin. Avec les couleurs ainsi préparées, on peignait des tableaux qu’on faisait sécher au soleil[1]. Ce procédé, peut-être le même que celui qu’on employait au VIe siècle, se rapproche beaucoup de la peinture à l’huile telle qu’on la pratique aujourd’hui[2]. Vers 1410, Jean Van Eyck, le second des deux frères, ayant terminé un panneau d’après le procédé décrit par le moine Théophile, exposa au soleil sa peinture pour la faire sécher ; la chaleur fendit les planches, et le tableau fut perdu. Van Eyck chercha dès-lors un moyen plus expéditif et moins dangereux. Il le trouva, et il me semble hors de doute que cette découverte, qui fit tant de bruit au XVe siècle, ne consista pas tant dans la substitution de l’huile à la cire ou à la colle, cette substitution ayant été faite de longue date, que dans l’emploi d’un siccatif, qui, combiné aux huiles de lin et de noix et mêlé aux couleurs, leur permettait de sécher à l’ombre en conservant leur éclat.

La plupart des écrivains qui s’occupent de l’histoire de l’art n’ont jamais tenu un pinceau. Leur ignorance des procédés matériels de la peinture est fort excusable. Cette ignorance a seule causé tout le bruit que l’on a fait à propos de la découverte de Van Eyck, qu’on a présentée comme l’invention de la peinture à l’huile. À notre avis, cette invention se réduisit à un perfectionnement. Le peintre de Bruges tenta une de ces expériences que bien des artistes renouvellent aujourd’hui, dégoûtés qu’ils sont de l’insuffisance, des inconvéniens, nous dirons plus, des trahisons de la peinture à l’huile. L’expérience tentée par Van Eyck ayant réussi, les artistes allemands et italiens appliquèrent à l’envi un procédé plus commode, plus séduisant que ceux en usage jusqu’alors, mais certainement moins favorable à la durée de leurs ouvrages et dont nous doutons fort que l’art de la peinture ait tiré un

  1. Ch. XVIII, XXII, XXIII.
  2. Les Grecs, vers 1300, peignaient à l’huile. J’ai entre les mains un triptyque de cette époque, exécuté avec un procédé qui ne peut être que celui de la peinture à l’huile. Les têtes des personnages sont très finement modelées dans la pâte.