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avantage réel. Il est certain qu’à partir du XVe siècle, le coloris perdit en vivacité et surtout en durée ce qu’il gagnait en puissance et en harmonie. L’emploi des huiles siccatives, combiné avec celui des terres d’ombre et du bitume, soit dans le corps de la peinture, soit dans les glacis, cet emploi d’une commodité singulière et qui donne à un tableau récemment exécuté, et même à certains tableaux des peintres flamands et hollandais, tels que Rembrandt, Decker, Ruysdael et Hobbéma, un ton local si vigoureux, cet emploi, précieux dans quelques exceptions, a causé la prompte destruction, l’abolition presque complète de la plupart des grandes compositions peintes à l’huile depuis les Van Eyck, à commencer par la Transfiguration de Raphaël et le Cénacle de Léonard de Vinci. Quelle différence de conservation entre la fresque vulgaire de Montorfano placée, au couvent des Graces de Milan, en regard du tableau de Léonard de Vinci, et cette inimitable composition ! Léonard de Vinci, Raphaël, Titien et les Carrache sont ceux qui ont le plus perdu à l’emploi du nouveau procédé. Le Corrége lui doit ses tons soyeux et son éclat incomparable ; mais le Corrége a horreur de toute ombre un peu forte, et semble n’avoir employé l’huile que pour surglacer. Paul Véronèse, lumineux jusque dans ses ombres et qui ne fait abus ni des frottis colorés ni des tons vigoureux, s’est mieux soutenu. Les détails de ses tableaux ne sont ni effacés ni même affaiblis ; il est vrai que Paul Véronèse a dû peindre sur des toiles absorbantes. Ses grandes compositions ont la clarté et la fraîcheur des fresques. Comparées à certains tableaux contemporains, tels que l’Endymion de Girodet, ou la Bataille d’Austerlitz de Gérard, on les croirait plus récemment exécutées. Dans la plupart de nos tableaux modernes, au bout de dix ans, les blancs deviennent jaunes, les jaunes roux, les bleus verts, les bruns noirs, puis tout s’efface, et la nuit vient.

On put promptement acquérir la certitude du peu de durée des peintures exécutées d’après le procédé de Van Eyck. Nous voyons, en effet, que sa composition la plus vaste, le retable de Saint-Bavon, où il a représenté l’adoration de l’agneau mystique, et qu’il avait achevée en 1432, dut être retouchée, et, il faut le dire, repeinte en grande partie, en 1550, par Lancelot Blondel de Bruges et Schoreel d’Utrecht. La Cène de Léonard de Vinci se détruisit plus promptement encore. Cette vaste composition avait été achevée en 1498, et, vers 1540, Armenini en parle comme d’une peinture à demi effacée ; vers 1560, les contours seuls restaient. Depuis, ce tableau fut, à diverses reprises, repeint en entier.

La découverte de Van Eyck rendit son nom populaire dans toute l’Europe. Il avait trouvé le grand secret à la recherche duquel plus d’un peintre avait consumé son existence. Les Italiens, qui se passionnent si aisément, et qui, depuis Cimabué et Giotto, cultivaient avec une sorte d’enthousiasme l’art de la peinture, furent ravis à la vue des