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Dans le cours du XVIe siècle, une révolution moitié politique, moitié religieuse, bouleversa la Hollande. A une époque d’opulence et d’industrie succédèrent des jours d’épreuve et de lutte ; un culte austère remplaça les pompes traditionnelles et le majestueux symbolisme du catholicisme ; l’art dans la Hollande et même dans les Flandres subit l’influence des révolutions religieuses et politiques. Il quitta le sanctuaire du temple pour l’hôtel-de-ville ou pour la maison du citoyen. C’est alors que Rembrandt apparaît et renouvelle du même coup et l’école de Leyde et son art, Rembrandt, poète comme Rubens, et dans son genre aussi grand peintre, aussi grand coloriste que lui. Tous deux ont fait bon marché de l’idéal et même de la beauté. Dans les pages étincelantes du peintre d’Anvers, dans ses allégories les plus violentes et les plus compliquées comme dans les plus austères compositions du peintre hollandais, sa Leçon d’anatomie, ses Cinq régens du Staal Hof ou sa Ronde de nuit par exemple, la matière a le dessus, l’imitation de la nature néerlandaise a prévalu, et cependant, nous le répétons, l’un et l’autre sont poètes. Rubens semble avoir dérobé jusqu’au dernier rayon de soleil et n’avoir laissé à Rembrandt que le crépuscule et la nuit ; mais cette vive lumière n’illumine trop souvent que des images vulgaires et ne s’épanouit que sur les formes charnelles de la Vénus flamande, tandis que ces ténèbres laissent entrevoir, à travers leur admirable transparence, des scènes d’une réalité merveilleuse. Rembrandt est peut-être le plus original et le plus calculateur des peintres. Il est souvent aussi étonnant coloriste que les Vénitiens. Comme eux, il a tiré le plus merveilleux parti des glacis, mais il les applique d’ordinaire sur des empâtemens bien autrement solides que les grisailles vénitiennes. Il a trop négligé la beauté.

Rembrandt a eu de nombreux imitateurs, qui sont presque des copistes. Sa manière est trop personnelle, trop originale pour qu’on puisse l’imiter sans danger. Ferdinand Bol, son ami, est le meilleur de ces pasticheurs. On a souvent confondu ses intérieurs et ses portraits avec ceux du maître, et c’est un honneur insigne. Bartholomé Van der Helst, élève à la fois de Rubens et de Rembrandt, a conservé plus d’indépendance. Son grand tableau du Repas des officiers, présidé par le capitaine Wits, en mémoire de la paix de 1648, qu’on a placé au musée national d’Amsterdam en face de la Ronde de nuit de Rembrandt, a pu perdre à ce voisinage ; c’est cependant encore un des tableaux les plus remarquables de la Hollande.

Aujourd’hui qu’une paix de trente années, l’aisance générale, les encouragemens publics et privés, et, par-dessus tout, les expositions annuelles du Louvre, ont donné à l’art en France un si étrange développement ; aujourd’hui que les ouvrages produits chaque année par nos peintres ne se comptent plus par centaines, mais par milliers, et