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mot de république française effraie ceux qui possèdent, ceux qui attachent du prix au respect des propriétés et des personnes, ceux qui aiment la liberté autrement qu’inscrite sur les murailles ; mais la république française, je parle de la première, excite l’effroi de tout ce monde-là, et ce même monde a vu avec inquiétude le retour du gouvernement républicain. La confiance a donc disparu ; elle a fait place à la panique. J’espère que la confiance reviendra ; c’est un devoir pour nous tous de la rappeler, mais tout indique qu’elle sera lente à reparaître. Or, c’est la confiance qui soutient le capital et qui le rend capable de produire et de distribuer tout ce que la société réclame pour vivre, c’est elle qui lui permet de circuler et d’avoir de la fécondité. Il arrive ainsi qu’avec la même quantité de terres, de maisons, de machines, de routes, de canaux et de chemins de fer, avec le même approvisionnement en matières premières et en objets déjà tout fabriqués, avec le même capital intellectuel en talent, en connaissances, en adresse, nous sommes tous beaucoup plus pauvres qu’hier. Du sein de l’appauvrissement général il n’est pas possible de faire sortir de meilleures conditions d’existence pour quinze on vingt millions de nos concitoyens. Manufacturiers, agriculteurs, commerçans, avocats, médecins, savans, artistes, tout ce qui n’est pas ouvrier gagne en ce moment beaucoup moins qu’il y a un mois. Est-ce le moment, pour les ouvriers, de revendiquer de plus forts salaires ? La question n’est pas de faire mieux rémunérer son travail, elle est d’en avoir, et plaise au ciel que dans un mois nous n’en soyons pas beaucoup plus dépourvus qu’aujourd’hui !

Quelle est la loi d’après laquelle se règle le salaire dans les pays où le travail est libre ? C’est par l’abondance du capital comparée au nombre des travailleurs qui demandent de l’emploi. Ici se retrouve cette éternelle loi du rapport entre l’offre et la demande, qui sert de règle à toutes les transactions. Un manufacturier n’a du capital que pour occuper cent ouvriers, en les rétribuant à raison de 4 francs par tête ; il s’en présente deux cents ; s’il faut qu’il les occupe tous, il ne peut leur donner que 2 francs, c’est forcé. Ainsi, plus la population se multipliera relativement au capital, plus les salaires descendront. Ils baisseront au détriment de la santé publique, en dépit des appels de la charité chrétienne, du cri ale l’humanité blessée. Ils baisseront jusqu’à ce que les infortunés ouvriers soient réduits au minimum des subsistances, aux alimens les plus grossiers. C’est l’histoire de l’Irlande, où, à mesure que les hommes ont pullulé pendant que le capital était stationnaire, les malheureux paysans sont descendus de l’usage de la viande à celui du pain sec, du pain à la pomme de terre de bonne qualité, de la pomme de terre farineuse à la pomme de terre aqueuse et coriace qu’une superficie donnée rend en plus grande quantité. C’est affreux, mais c’est d’une inexorable nécessité. Là où il n’y a rien, le roi perd