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ses droits, selon le vieux dicton ; il en est de même du peuple, souverain ou non.

Tribuns, philanthropes, prédicateurs, creusez-vous la tête ; vous ne trouverez pas d’autre solution que celle-ci une misère affreuse quand il y a beaucoup de bras et peu de capital. Les décrets garantiront le travail, garantiront le salaire : efforts impuissans ! Votre garantie sera vaine tant que vous n’aurez pas créé du capital, et vous ne le créerez que par le travail accumulé, par l’épargne, l’abstinence, la patience. Décréter une augmentation générale des salaires ou une diminution réelle du travail journalier tant que le capital n’est pas augmenté, c’est chimérique ou c’est éphémère. Voilà ce manufacturier qui employait deux cents ouvriers ; vous voulez qu’il double le salaire : il y souscrit, mais alors il n’occupera plus que cent ouvriers. Tout au plus, en répartissant autrement son capital entre l’achat des matières et les salaires, il pourra aller à cent cinquante. Que ferez-vous des cent ou des cinquante qu’il aura congédiés ? A cela on répond : L’état leur donnera de l’ouvrage ; il ouvrira des ateliers nationaux. Bien ; cependant, à ces ateliers il faudra du capital, d’où le tirerez-vous ? On ne fait pas du capital comme Pompée disait qu’il pouvait faire des soldats, en frappant du pied la terre. Pour que l’état se procure le capital nécessaire aux ateliers nationaux, il faudra qu’il le prenne ou l’emprunte à l’industrie privée ; mais alors celle-ci, ayant moins de capital, sera forcée de renvoyer d’autres travailleurs. Pendant que vous en placerez d’un côté, il s’en déplacera de l’autre un nombre égal qui se présenteront, demandant à leur tour du travail ; vous n’en finirez jamais. C’est la roue qu’Ixion tourne toujours.

Puis, si les salaires sont augmentés, les frais de production seront plus élevés ; il faudra vendre plus cher, sous peine d’y perdre, et alors la consommation se restreindra. La production subira par conséquent le même sort ; de là, moins d’ouvriers occupés. Comment y remédierez-vous ? Ce ne sera pas avec des ateliers nationaux travaillant sérieusement, avec un capital d’emprunt : je viens de montrer que c’est impossible. Cependant il reste un expédient : c’est de prendre sur le budget pour entretenir les ouvriers déclassés. Nous voilà donc acculés à la taxe des pauvres. Cette taxe viendra de la même source que les autres, impôts ; ce sera autant de pris sur le capital national, car ces 200 millions, si vous les aviez laissés aux contribuables, auraient en grande partie servi à grossir le capital national, et, du moment que vous les distribuez à des travailleurs inoccupés, ils sont consommés, ils n’existent plus. Vous allez donc à l’encontre du but que vous devez inflexiblement poursuivre, si vous voulez améliorer le sort des ouvriers. Il vous fallait pourvoir à l’accroissement du capital ; vous le diminuez.

Il y a une foule d’industries qui exportent leurs produits. La France