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Mais cette organisation du travail, ce mode d’association entre les bourgeois et les ouvriers, quel est-il, qu’est-ce qu’il peut être ? Ce ne sera pas l’organisation proposée par M. Louis Blanc, car celle-ci aboutit à l’impuissance et à la tyrannie, je l’ai montré à l’impuissance, puisque, au lieu de multiplier les produits, elle en restreindrait la quantité en brisant le ressort même de la production ; à la tyrannie, puisque les natures d’élite y seraient comprimées, asservies, exploitées, et que les frelons de la ruche y absorberaient de droit le miel péniblement amassé par les industrieuses abeilles. Le mode d’association qu’il faut devrait avant tout être sur cette base, que chaque rétribution individuelle dépend du nombre et de l’étendue des services individuels.

Précisez davantage, me dira le lecteur, le temps nous presse et la maison brûle. — Si le feu est à la maison, faites la part du feu. Il est à croire qu’il ne la faudra pas trop grande, car la réflexion vient, et tout le monde retourne au calme. Si un grand incendie se déclarait, il consommerait la ruine complète de tout le monde, y compris les ouvriers. Or, les ouvriers le sentent, et c’est pour ce motif que je ne crois pas à l’embrasement général de l’édifice social. Quant à moi, je le confesse, j’ai beau regarder, je n’aperçois nulle part encore un plan qui puisse être adopté avec la moindre confiance pour l’organisation du travail. Nous n’arriverons à cette découverte que comme Colomb découvrit le Nouveau-Monde, après avoir long-temps demandé et espéré un navire et après une longue et périlleuse navigation. Le navire, nous l’avons enfin, s’il plaît à Dieu : voici la périlleuse et longue navigation qui commence ! Je ne puis dire que, comme en 1841, c’est une tâche difficile et longue, et, pour l’accomplir, il faudra successivement l’espace de plusieurs générations. Des tâtonnemens, des essais nous mettront sur la voie, et nous devrons tous ramer de toutes nos forces afin d’avancer chaque fois qu’un éclair aura brillé et nous aura montré le chemin au milieu des ténèbres. Les agitations des événemens nous pousseront vers le terme du pèlerinage, non sans nous en écarter quelquefois. C’est ainsi que nous allons depuis 1789, par un mouvement semblable à celui de la marée dont le niveau s’élève, quoique le recul du jusant à chaque instant succède au flot qui monte. Puisque nous sommes lancés depuis un mois dans les plus grandes aventures, il n’y a aucun inconvénient à ce qu’on en coure de petites ; c’est même fort convenable. Je