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minations, on pourrait dresser une longue liste de ses fautes La plus claire, la plus féconde en conséquences redoutables, ç’a été d’avoir trop systématiquement ignoré les besoins et les idées qui parlaient au-dessous d’elle ; ç’a été d’avoir négligé de fonder sur des bases solides et généreuses la société dont elle occupait le faite ; ç’a été d’avoir trop abandonné le peuple. Elle expie maintenant le grand péché qu’elle a commis, mais elle en commettrait un plus grand encore, si elle s’abandonnait elle-même. Après avoir tout accaparé par égoïsme, elle ferait pis assurément, si elle rendait tout par peur. La bourgeoisie ne peut pas donner sa démission en masse ; elle ne peut pas non plus la recevoir. Elle a par elle-même une consistance qui doit la rassurer tout ensemble et contre les mauvais conseils des timides qui voudraient la dissimuler en la rapetissant, et contre les déclamations socialistes qui ont inventé de la supprimer en l’écrasant. Il faut qu’elle ait conscience de sa valeur réelle ; il n’y a que sa propre lâcheté qui puisse l’immoler, comme il n’y avait que son propre aveuglement qui pût l’amener au mauvais pas qu’elle traverse.

Quand nous parlons ici de peuple et de bourgeoisie, nous ne nous figurons pas comme les utopistes deux classes aux prises pour se disputer l’empire, et si nous soutenons que la bourgeoisie ne doit point se laisser déposséder, mais seulement apprendre enfin à se corriger, nous l’entendons ainsi dans la plus large pensée d’intérêt national. Nous l’entendons ainsi, parce qu’elle nous représente et la force vive du pays, comme on le dit de ceux qu’on appelle les travailleurs dans le langage du jour, et surtout sa force éclairée. Saint-Simon, le père de tous les utopistes, a mieux exprimé que personne cette importance trop vainement rabaissée par ses successeurs. C’était en 1819 dans cette Parabole où il s’amusait à mettre en balance le vide que causerait au pays soit « la mort subite des trente mille individus réputés les plus importans de l’état, » des princes et princesses, des grands officiers de la couronne, des maréchaux, cardinaux, archevêques, ministres et préfets, soit «  la disparition soudaine des trois mille premiers savans artistes et artisans de la France. » Et voici comment jugeait Saint-Simon : « Comme ces hommes sont les Français les plus essentiellement producteurs, ceux qui donnent les produits les plus imposans, ceux qui dirigent les travaux les plus utiles à la nation, ils sont réellement la fleur de la société française ; ils sont de tous les Français les plus utiles à leur pays, ceux qui lui procurent le plus de gloire, qui hâtent le plus sa civilisation et sa prospérité. Il faudrait à la France au moins une génération entière pour réparer le malheur de leur perte. »

Ces trois mille producteurs éminens de 1819, combien sont-ils en 1848 après trente ans de paix ? et si l’on veut les flétrir comme une caste, les ébrancher comme une souche nuisible, que restera-t-il après eux pour couvrir et vivifier le pays ?

On peut s’apercevoir que nous esquissons très à loisir toutes ces réflexions, sans nous presser beaucoup de revenir sur les faits accomplis depuis quinze jours. Ces faits sont des décrets. On voit à peu près les idées qui nous ont guidés dans leur appréciation, mais le propre des gouvernemens révolutionnaires, c’est d’être au-dessus de la critique, et de la distancer toujours, tant ils vont vite en besogne ; nous sommes donc fort en retard pour discuter, et la discussion ici n’avance à rien. L’événement capital dans la sphère politique, c’est la nouvelle loi électorale. Quand nous aurons dit que les législateurs de l’Hôtel-de-Ville ont