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renversé d’un coup toutes les notions que l’on pouvait se faire du possible, nous n’aurons rien dit qui les étonne et les émeuve, puisqu’ils ont adopté pour premier axiome de ne rien écarter comme impossible dans le monde nouveau qu’ils ont mission de créer. Et même on croirait vraiment qu’ils ont pris à tâche d’accumuler toutes les impossibilités, pour jeter plus hardiment le défi à toutes les habitudes de nos intelligences. On n’a jamais plus multiplié les x dans une construction politique. Il semble qu’on ait tiré de chaque système électoral sa combinaison la plus difficile et la plus énigmatique pour produire de la sorte un vaste inconnu d’où il s’échappât enfin quelque chose. Cependant, à regarder de plus près, on arrive à découvrir qu’on a simplement emprunté ce que chaque système avait de plus populaire, sans se soucier d’ailleurs de l’arrangement du tout. Le suffrage direct est plus populaire que le suffrage à deux degrés, mais il entraîne de soi le vote au chef-lieu d’arrondissement. Le vote au chef-lieu de département a été trop long-temps préconisé pour qu’on ne respectât pas la faveur dont il jouit dans l’opinion, mais il suppose le suffrage indirect. Comment vaincre l’embarras ? On a tout bonnement mis ensemble les deux choses qui flattaient le plus et mis de côté les deux qui flattaient le moins. Le vote électoral sera direct et concentré au chef-lieu de département.

Ces dispositions matérielles du vote nous paraissent plus graves que le principe intrinsèque du suffrage universel ; l’application ainsi conçue du principe nous parait prêter à des conséquences plus alarmantes que le principe même. Nous ne savons absolument pas ce que pourra donner cet étrange scrutin de liste, et nous avons peur que quelques-uns seulement le sachent, mais ceux-là trop bien. Qu’est-ce, en effet, qu’un scrutin secret dans lequel chaque électeur apportera son bulletin tout écrit ? Qu’est-ce qu’un scrutin de liste dans lequel chaque électeur devra, sous peine de nullité, inscrire autant de noms qu’il en faut pour la représentation de son département : 34 à Paris, 28 dans le Nord, 16 dans les Côtes-du-Nord, 15 dans le Finistère ? Imagine-t-on le pauvre paysan d’un canton perdu dans les montagnes d’Arrée ou dans les bois du Morvan obligé de tirer tout à coup de son cerveau tant de noms politiques, sous peine de perdre, faute d’un seul, sa capacité d’électeur ? De deux choses l’une, ou chacun de ces braves gens nommera les premiers de son village, et il y aura presque autant de listes que de communes, ou tous voteront sur des listes toutes faites, et alors qui les fera ? Ou bien le gouvernement de Paris, ou bien les clubs des chefs-lieux. Si c’est le gouvernement, le voilà qui pèse à son tour sur les élections ; le voilà fonctionnant comme grand-électeur et tombant dans le piège où est tombée la monarchie, pour s’être ainsi elle-même trompée par ses propres artifices sur l’état vrai du pays. Il se récriera certainement contre cette assimilation injurieuse ; il agira, bien entendu, pour le bon motif, mais le bon motif est en tout et toujours, même sous la monarchie, un argument révolutionnaire ; ce n’est pas un argument de droit, et la république que voudrait pourtant la France, ce serait une république de droit. M. le ministre de l’intérieur demande aux commissaires du gouvernement d’envoyer à l’assemblée des jeunes gens et des travailleurs qui prêtent leur concours à l’élite des penseurs, en laissant, bien entendu, ceux-ci méditer à leur place. M. le ministre de l’instruction publique recommande aux recteurs de susciter d’honnêtes paysans qui, n’ayant ni éducation, ni fortune, ne se croient pas chargés d’inventer, et viennent seulement juger par oui ou par non si ce que l’élite des membres propose est