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laissant sommeiller sa pensée, donnait à sa main l’occasion de s’exercer sans relâche. Il acquit ainsi une rapidité d’exécution que lui eussent enviée les maîtres les plus habiles. Sous la discipline du Pérugin, Raphaël ne pouvait devenir savant dans la véritable acception du mot. Comment en effet le Pérugin eût-il livré ce qu’il ne possédait pas lui-même ? Mais Raphaël se familiarisait avec toutes les traditions de la peinture religieuse ; il apprenait à parler avec abondance la langue qu’il devait bientôt enrichir et renouveler. Cependant, malgré son respect pour les préceptes du maître, le jeune Sanzio agrandissait le style de son dessin en consultant la nature, que le Pérugin n’avait jamais étudiée avec un soin scrupuleux. Sans quitter l’école où son père l’avait placé, il commençait à se frayer une route où le Pérugin ne songeait pas à le suivre. Un de ses condisciples plus âgé que lui, Pinturicchio, qui déjà avait exécuté à Rome des travaux assez nombreux, et qui devait pendant toute sa vie reproduire fidèlement la manière du Pérugin sans songer à lui donner plus de grandeur et de grace, ayant été chargé de retracer dans la cathédrale de Sienne les principaux événemens de la vie de Pie II, et se défiant à bon droit de ses facultés inventives, jeta les yeux sur lui et lui proposa de l’associer à cette entreprise. Raphaël se rendit avec empressement au désir de son condisciple, et composa, si nous en croyons Vasari, tous les cartons d’après lesquels furent exécutées les fresques de Sienne. Quelques biographes vont même plus loin, et affirment que Raphaël ne demeura pas étranger à la reproduction de ses cartons. Quelle que soit la valeur de cette dernière assertion, il est certain que le jeune Sanzio travaillait activement dans la cathédrale de Sienne, lorsqu’une circonstance inattendue vint changer la direction de ses études, et dès-lors commença pour lui une ère nouvelle. On s’entretenait dans toute l’Italie des cartons faits à Florence par Léonard de Vinci et Michel-Ange. La renommée de ces deux ouvrages que le temps nous a enviés, mais que nous connaissons cependant par la gravure, éveilla dans l’ame de Raphaël le désir de visiter Florence. Les travaux de Sienne, malgré l’attrait qu’ils lui offraient, malgré le nombre et la variété des sujets qui excitaient son imagination naissante, ne purent le retenir : le jeune Sanzio partit pour Florence. A peine arrivé dans cette ville, qui n’est pas moins féconde en enseignemens que Rome elle-même, il comprit combien il était loin de la vérité, loin de la beauté ; pour la première fois il entrevit le but suprême de l’art. Toute son attention se porta d’abord sur les cartons du Vinci et du Buonarroti ; il les étudia, il les copia avec un soin, avec une persévérance que rien ne pouvait lasser. Pour se rendre maître de cette manière nouvelle, pour se familiariser avec le style savant et sévère de ces deux modèles incomparables, il lui fallait effacer de sa mémoire presque toutes les études qu’il avait faites sous la discipline du Pérugin ;