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qui éclatent dans les chambres du Vatican. Je ne parle pas des ombres qui avaient déjà changé quelques années après la mort de Raphaël, et dont Vasari attribue l’altération au noir de fumée employé dans l’ébauche par Jules Romain ; je parle de la manière dont l’auteur a compris et rendu la forme dans la partie inférieure de ce tableau. Le style des apôtres placés au pied du Thabor a quelque chose de laborieux, et les draperies ne sont pas exemptes de dureté. La grande sainte famille que nous avons au Louvre, exécutée pour François Ier deux ans avant la Transfiguration, est traitée avec plus de largeur et de liberté ; la Vierge à la Chaise, la Vision d’Ézéchiel, du palais Pitti, la Sainte Cécile, de Bologne, donnent lieu à la même remarque. Ce n’est donc pas dans la Transfiguration qu’on doit chercher l’expression la plus complète du génie et du savoir de Raphaël.

Il suffit de nommer les portraits de Léon X et de Jules II, de Bindo Altoviti, de la Fornarine ; dans ce genre qui semble étroit à l’ignorance, Raphaël sut trouver des ressources infinies, et chacun de ces portraits est une composition poétique dans l’acception la plus élevée du mot. Je ne dis rien des innombrables dessins gravés sous les yeux mêmes du maître par Marc-Antoine Raimondi, car mon intention n’est pas de passer en revue la série entière des œuvres de Raphaël ; les œuvres capitales dont j’ai parlé marquent très nettement les métamorphoses de sa pensée, de sa volonté, de son talent. Homme heureux entre tous, comblé par le ciel de tous les dons du génie, il ne vécut que pour l’art et pour l’amour, et mourut à trente-sept ans : la veille de sa mort, il oubliait la gloire dans les bras de la Fornarine. S’il n’a pas le savoir du Vinci et de Michel-Ange, la couleur éclatante de Titien, l’expression profonde du Corrège, il a mérité pourtant d’être appelé le prince de la peinture, et ce titre glorieux, il l’a conquis par l’universalité de son génie. Plus d’une fois sans doute, dans sa vie si courte et si féconde, il lui est arrivé de sacrifier à l’effet purement pittoresque le côté sérieux des sujets qu’il avait choisis ou acceptés ; mais n’oublions pas qu’il a traité des sujets de tout genre. Il possédait si bien l’art de plaire aux yeux, l’art de séduire et de charmer, que sa main n’attendait pas toujours sa pensée, et qu’il négligeait parfois le travail de la méditation comme inutile au succès de son œuvre, comptant sur la beauté des lignes pour imposer silence aux juges les plus sévères ; mais cette confiance même, si souvent justifiée, ne reposait-elle pas sur un travail persévérant ? Si Raphaël n’est pas le premier dans toutes les parties de la peinture, aucun peintre ne peut lui disputer le premier rang, car aucun n’a réuni au même degré que lui toutes les qualités que donnent l’étude et le génie.


GUSTAVE PLANCHE.