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partis qui avouent hautement ne travailler qu’à son renversement, je n’hésiterais pas à la proposer à la chambre. Si les choses se passaient ici comme en Angleterre, où le trône n’est jamais engagé dans la lutte, je serais volontiers du parti des réformistes ; mais quand on a contre soi non-seulement l’opposition dynastique, mais encore des légitimistes et des républicains, on ne s’aventure pas aussi légèrement.

La réforme parlementaire, je le sais, rencontre aussi des partisans peu d’accord entre eux ; mais il y a dans le public ce sentiment général et juste, que la chambre verrait son indépendance suspectée si elle arrivait à être composée d’un trop grand nombre de fonctionnaires publics salariés. Et, je le demande, où en serions-nous le jour où la chambre perdrait la confiance du pays ?

Les chiffres prouvent que les élections générales tendent chaque fois à introduire quelques fonctionnaires de plus dans le parlement. Il serait donc à propos d’imprimer un temps d’arrêt à cette disposition.

Les plus sages esprits, les plus dévoués au gouvernement dans le parti conservateur sont de cet avis.

Les uns voudraient limiter par département le nombre des places rendues désertes par l’absence des fonctionnaires députés ;

Les autres voudraient qu’il fût établi en principe que toute fonction doit être remplie.

Je ne veux pas entrer dans une discussion approfondie de cette question. Je dirai seulement l’opinion que j’ai toujours eue à ce sujet, opinion qui n’a point été modifiée par la réflexion, encore moins par l’expérience, et qui n’a d’autre mobile que la dignité du gouvernement et de la chambre.

L’incompatibilité absolue des fonctionnaires m’a toujours paru être la plus illibérale des mesures, et le premier de tous qui devrait s’y opposer serait, à mon avis, l’électeur, au droit duquel on porterait une grave atteinte en l’empêchant d’élire librement un fonctionnaire public, en dehors de la sphère d’action de son emploi.

Puis, je n’aime pas à voir les assemblées procéder par éliminations. Le goût peut leur en prendre. Les raisons qu’on donne pour une catégorie aujourd’hui pourraient s’appliquer demain à une autre, et, à force de s’épurer, la chambre finirait bientôt par être peuplée seulement d’avocats. Elle y gagnerait peu en éloquence, et elle y perdrait beaucoup en pratique des affaires. En politique surtout, tenons-nous-en à des principes limités et définis.

A l’opinion qui prétend que toute fonction doit être remplie, je répondrai qu’à mes yeux, dans un échafaudage administratif aussi solide que celui de la centralisation française, l’absence d’un fonctionnaire dans un département laisse un vide peu sensible et suffisamment compensé par l’utilité de sa présence à la chambre.