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dire légitimes ; les fantaisies et les caprices des partis peuvent agiter la surface, mais ne renversent pas des gouvernemens. Il y a de la justice au fond du cœur du peuple. Pour soulever la partie honnête du pays, il faut une charte violée, un contrat déloyalement rompu. Quoi ! parce qu’il ne conviendrait pas à une majorité légale de céder à vos clameurs, vous ne sauriez vous résigner au rôle de parti vaincu ! Mais la tribune vous est-elle interdite ? La presse vous refuse-t-elle sa publicité ? Faites donc triompher vos opinions par la persuasion et non par la violence ! Rédigez des pétitions ; faites-les couvrir de signatures, de croix même à défaut de signatures, pour montrer combien de garanties offrent à la société ceux pour qui vous demandez des droits politiques ! Faites des tournées de province ; montrez-vous dans tous les banquets réformistes, prononcez des discours de tribuns ; décorez du nom de patriotes ceux qui combattent le pouvoir ; qualifiez de corrompus ceux qui le défendent ; essayez de pervertir le jugement de la nation. Revenez ensuite à la chambre, discutez encore, puis enfin votez, et après… si vous êtes en minorité, maudissez vos juges, mais résignez-vous. Vous pourrez recommencer l’année prochaine, si cela vous fait plaisir. C’est votre droit, comme c’est le nôtre de n’être pas de votre avis ; c’est la condition même du gouvernement représentatif. Nous ne faisons là chacun que notre métier, celui d’hommes de parti dans un pays libre ; mais nous menacer d’une révolution parce que nous n’acceptons pas ce que nous avons le droit de refuser, c’est une étrange manière d’entendre et de pratiquer la liberté ! Allez ! vous n’êtes pas des hommes de parti ; vous êtes incapables de gouverner jamais, car, si vous étiez des hommes de parti avec des idées de gouvernement, vous ne feriez pas si bon marché de la loi. Dieu veuille que vous n’ayez pas à regretter un jour le langage que vous tenez aujourd’hui !

C’est le respect religieux de la loi qui fait la force de la constitution anglaise, tout en permettant la plus grande liberté dans les institutions. Là, gouvernement, tribunaux, peuple, tous considèrent la loi comme un soutien, comme un abri. Dans ce pays sensé, où personne ne cherche à rabaisser ceux qui sont au-dessus de soi, l’inégalité sociale est acceptée sans envie, parce que l’égalité des droits y est sincèrement appliquée et qu’elle suffit à la dignité de l’homme. Cent mille Anglais se rassemblent, s’agitent, délibèrent, signent des pétitions que les chambres repoussent, et ce mouvement, qui, chez nous, dégénérerait en émeute, n’inquiète personne, ne menace ni l’ordre public ni les institutions. C’est sur la puissance de l’opinion publique et non sur la frayeur des agitations que comptent les réformateurs anglais. Dans ces immenses meetings, on sent qu’on respire le respect des droits. On y injurie quelquefois les hommes dans des termes grossiers ; on n’y menace