Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un livre estimé, que, cette année 1662, le roi fit un voyage en Lorraine, et que Molière, qui l’y suivit, eut occasion de ramasser sur son chemin la plaisante exclamation dont il fit si bon usage dans le Tartufe : « le pauvre homme ! » mais il manque seulement à cette historiette que le roi soit allé en Lorraine, que Molière ait eu à l’y suivre, et que l’évêque de Rhodez, nommé alors archevêque de Paris, ait pu être d’un voyage qui ne se fit pas. Dans la vérité, il n’y a pas un fait à placer entre le mariage de Molière et le premier ouvrage qu’il donna ensuite au théâtre. Ce que Voltaire s’est avisé d’y mettre, sur le sujet des comédiens italiens, d’après un passage de Grimarest qui n’avait aucune valeur, ne se rapporte même pas à cette époque. S’il y eut pour Molière un temps heureux dans l’union conjugale, il en jouit sans trouble et sans distraction, aimé du roi, applaudi du public, considéré enfin parmi les gens de lettres, pendant cette année 1662 qui se termina par la mise en scène de l’École des Femmes.

Le succès de cette comédie, représentée pour la première fois, le 26 décembre 1662, sur le théâtre du Palais-Royal, fut éclatant, populaire, constaté par le rire et par la foule, confirmé aussi par l’ardeur et le bruit des critiques. Le nouvel auteur venait à la fin de prendre sa place ; la cour et la ville l’avaient accepté comme un homme d’un sérieux talent, dont il fallait beaucoup attendre. C’était assez pour armer contre lui toutes les sortes d’ennemis que soulève le mérite heureux, c’est-à-dire l’envie, la médiocrité, l’esprit de contradiction. Tout cela se trouva prêt et armé quand parut l’École des Femmes, et l’applaudissement général qu’elle obtint des spectateurs servit de signal au déchaînement des censures. C’est ce que nous apprend très bien Loret en racontant que, dès le 5 ou 6 janvier 1663, la cour vit représenter au Louvre cet ouvrage

Qui fit rire leurs majestés
jusqu’à s’en tenir les côtés…
Pièce qu’en plusieurs lieux on fronde,
Mais où pourtant va tant de monde
Que jamais sujet important
Pour le voir n’en attira tant.
(Lettre du 13 janvier 1663.)


Chacun sait quelles fautes on voulait y trouver contre le goût, la bienséance, le bon langage ; chacun sait avec quelle verve l’auteur se défendit de ces attaques, et le procès littéraire n’est plus à juger ; ce qu’on ne sait pas assez et ce qui est incontestable, c’est que de ce jour, de cette pièce, datent la mauvaise intelligence de Molière avec les personnes dévotes, la défiance de celles-ci pour les sentimens chrétiens du poète, leur indignation contre ses témérités, et le ressentiment qu’une telle disposition excita chez un homme de nature peu patiente. Déjà ceux dont nous parlons avaient remarqué dans Sganarelle cette moquerie adressée en passant à un traité de morale religieuse, fort recommandé par les directeurs de consciences, et dont il venait tout récemment, en 1658, d’être publié une traduction nouvelle :

« Le Guide des pécheurs est encore un bon livre ! »


Ils trouvèrent à se scandaliser bien plus dans la scène où Arnolphe veut endoctriner