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de la grandeur d’âme et de tant d’autres qualités qui mettent encore au-dessous ; d’elle tout ce que la fortune a de plus élevé et de plus éblouissant. Aussi jamais ne fit-elle naître d’admiration plus vive que la sienne. Elle a été l’objet de ses méditations dans sa retraite ; on la retrouve partout dans ses idées. Selon lui, ses derniers préceptes ne sont que l’éloge et l’expression de ses vertus mêmes, et c’est dans l’honneur d’approcher Mme de Maintenon qu’il a trouvé la source de ces bienséances si délicates, réduites ici en règles et en principes. »


C’est ainsi, que les choses s’accommodent avec un peu de complaisance ; cet abbé Nadal faisait le prophète après coup. Les Lettres publiées en 1682 montrent assez que le chevalier se posa jusqu’à la fin en maître plus disposé à donner qu’à recevoir des leçons[1].

Je n’ai pas dissimulé les torts et même les petits ridicules du chevalier, et j’ai le droit, ce me semble, d’en venir maintenant à ses mérites ; ils sont très réels, très fins, et ce m’a été un si sensible plaisir de les découvrir que je voudrais le faire partager. Il n’y a pour cela qu’une manière, c’est de le citer avec choix, car on ferait un délicieux recueil de ses pensées et de quelques-unes de ses lettres. N’était-ce pas, en effet, un homme de beaucoup d’esprit que celui dont on rencontre de telles pensées à chaque page ?

« On n’est plus du monde quand on commence à le bien connoître ; au moins le voyage est bien avancé devant que l’on sache le meilleur chemin. »

« Comme la voix vient en chantant, et que l’on apprend à s’en bien servir quand on l’exerce sous un bon maître, l’esprit s’insinue et se communique insensiblement parmi les personnes qui l’ont bien fait. Il ne faut point douter que l’on en puisse acquérir, lorsqu’un habile homme s’en mêle. »

« Ceux qui ont le cœur droit ont le sens de même, pour peu qu’ils en aient ;

  1. Ainsi, à travers les fatuités de cette lettre qui nous paraît si étrange de ton, il savait très bien indiquer le côté faible de Mme de Maintenon, lui dénoncer cet oubli où on l’accusait de laisser tomber insensiblement ses relations du passé : « On s’imagine que vos anciens amis ne tiennent pas en votre bienveillance une place fort assurée. » Il l’avertit qu’on lui reprochait à la cour de n’aimer à favoriser que des gens déjà élevés et par eux-mêmes en faveur. En même temps, il reconnaissait son charme, qui faisait qu’on lui restait attaché malgré tout : « Si cela vous paraît peu vraisemblable à cause que vous m’avez extrêmement négligé, lui disait-il, je vous apprends qu’entre vos merveilleuses qualités qui font tant de bruit, vous en avez une que je regarde comme un enchantement : c’est que les gens de bon goût qui vous ont bien connue ne vous sauroient quitter, de quelque adresse que vous usiez pour vous en défaire, et j’en suis un fidèle témoin. » Tout cela est finement observé et n’est pas du tort ridicule. En somme, on ne connaîtrait pas bien Mme de Maintenon et surtout Mlle d’Aubigné, « belle et d’une beauté qui plaît toujours, douce, secrète, fidèle, modeste, intelligente » si on ne recourait au chevalier. (Lettres 38e, 41e, 48e, etc.) Je serais étonné si ce n’était pas d’elle aussi qu’il veut parler : « Une personne la plus charmante que je connus de ma vie… » (Page 152 des Œuvres posthumes.) La Beaumelle, ce chroniqueur si peu sûr, a romancé selon son usage le chapitre où figure le chevalier ; il est temps qu’un noble et grave historien, M. le duc de Noailles, vienne remettre l’ardre et la justesse dans le choses de sa maison.