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les personnes sincèrement pieuses, sur les plus purs adeptes du jansénisme, se retrouve encore dans l’ouvrage déjà cité du prince de Conti. « Y a-t-il, s’écrie le prince théologien, une école d’athéisme plus ouverte que le Festin de Pierre, où, après avoir fait dire toutes les impiétés les plus horribles à un athée qui a beaucoup d’esprit, l’auteur confie la cause de Dieu à un valet à qui il fait dire, pour la soutenir, toutes les impertinences du monde ? Et il prétend justifier à la fin sa comédie, si pleine de blasphèmes, à la faveur d’une fusée qu’il fait le ministre ridicule de la vengeance divine ! » Tout cela pouvait être mieux dit, mais ne manquait pas de raison, et, s’il était possible de croire que Molière eût conçu le dessein candide d’écrire un drame contre l’impiété, il faudrait reconnaître qu’il n’y avait pas réussi.

Le roi avait défendu à Molière de montrer son Tartufe devant le public ; il nous semble fort probable que pareille injonction lui avait été faite pour qu’il ne publiât pas son Festin de Pierre. Quand l’amitié existe chez celui qui commande, elle l’oblige à indemniser celui qui obéit, et le roi n’y manqua pas. Au mois d’août suivant, il pria son frère de lui céder ses comédiens, leur assura une pension de sept mille livres, et la troupe de Monsieur devint « la troupe du roi, » ce qui n’empêcha pas celle de l’hôtel de Bourgogne de continuer à s’appeler « la troupe royale. » Ce fut dans ce temps aussi que Molière devint père du seul enfant qui lui ait survécu, de cette fille dont le sieur de Modène fut parrain le 4 août 1665. Le 15 septembre suivant, la nouvelle troupe du roi alla représenter à Versailles l’Amour Médecin, encore « un impromptu, fait, appris et joué en cinq jours, » encore « une pièce mêlée d’airs, de symphonies, de voix et de danses. » Molière y paraissait de nouveau dans le caractère de Sganarelle, cette fois père de famille, bon bourgeois, malin, entêté et pourtant crédule. On n’a pas remarqué que, dans la première scène, il avait jeté un trait plaisant sur la profession de son père. « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse ! » mot devenu proverbial, n’était que la moitié de la leçon comique adressée aux donneurs d’avis ; l’autre regardait « M. Guillaume, qui vend des tapisseries. » Ce qui donne une véritable importance à cette spirituelle bluette, c’est la nouvelle audace qu’y déploya Molière, encore tout froissé de son premier engagement avec les dévots, contre d’autres ennemis qu’il lui avait plu de se donner. Le Festin de Pierre contenait déjà quelques moqueries sur les médecins ; mais ces moqueries venaient de don Juan, « impie en médecine » comme en tout le reste. Maintenant, à Versailles, devant la cour, et le roi prêt à rire, Molière vient livrer à la raillerie la plus cruelle, non pas seulement la médecine, non pas seulement les médecins, mais des hommes connus de tous, parfaitement indiqués par l’imitation burlesque de leurs gestes, de leur langage, de leurs noms. Or, voilà ce qu’il faut croire, non pas sur le dire des commentateurs, qui n’y voient pas bien clair, mais sur le témoignage des contemporains. Guy-Patin, médecin aussi, mais médecin frondeur, ne hantait pas les théâtres, il est même fort douteux qu’il ait jamais ni vu ni compris Molière ; mais il connaissait apparemment les gens de son métier, et c’est lui qui nous apprend (22 septembre) qu’on « a joué à Versailles une comédie des médecins de la cour, ou ils ont été traités de ridicules devant le roi, qui en a bien ri. On y met, ajoute-t-il, en premier chef les cinq premiers médecins, et, par-dessus le marché, le sieur des Fougerais, »Plus tard, quand la pièce fut donnée au public, il écrit encore (25 septembre) : « On joue présentement à l’hôtel de