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Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu’ils parlent, il faut voler.
Vingt ans d’assidu service
N’en obtiennent rien pour nous.
Le moindre petit caprice
Nous attire leur courroux.
Cependant notre ame insensée
S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux,
Et s’y veut contenter de la fausse pensée
Qu’ont tous les autres gens que nous sommes heureux.
Vers la retraite en vain la raison nous appelle,
En vain notre dépit quelquefois y consent ;
Leur vue a sur notre zèle
Un ascendant trop puissant,
Et la moindre faveur d’un coup d’œil caressant
Nous rengage de plus belle.

Et, dans le fait, Molière était « rengagé. » L’effet ne s’en fit pas voir aussitôt, parce que le roi employa son carnaval à prendre la Franche-Comté ; mais, quand l’été revint avec une paix glorieuse qui laissait à la France ses conquêtes de Flandre, on vit Molière se remettre à l’œuvre pour les plaisirs de la cour. Une fête non moins brillante que celle de 1664 se préparait à Versailles, dans les nouveaux jardins créés par Louis XIV. On y avait réservé la place principale à la comédie, et Molière était chargé de la remplir. Un théâtre magnifiquement décoré, les meilleurs danseurs, les plus belles voix, de nombreux instrumens et Lulli furent mis à sa disposition. Tout ce luxe royal (18 juillet) servit comme d’entourage à sa personne et forma le cadre de George Dandin. Il avait écrit la pièce et il y jouait le premier rôle ; les paroles chantées étaient de lui, les ballets se rapportaient tant bien que mal à l’action où il figurait. Il n’était vraiment pas croyable qu’on eût refusé quelque chose à un homme qui se prodiguait ainsi.

Le 9 septembre de la même année, il donnait l’Avare sur le théâtre du Palais-Royal. Au sujet de l’Avare, Grimarest a fait quelques contes absurdes, dont les biographes ont eu grand tort de s’embarrasser. Avec un peu plus d’attention, ils auraient vu que cet homme, qui entreprenait une vie de Molière, n’avait pas même sous la main, n’avait pas même songé à emprunter un exemplaire de ses œuvres, qu’il ne connaissait pas seulement l’ordre dans lequel ses comédies avaient été représentées. Nous l’avons vu faire jouer les Précieuses pour la première fois en province. Il ne sait pas que les Fâcheux ont été représentés à Vaux ; c’est à peine s’il a entendu parler, et encore bien tard, quand sa besogne est presque finie, des trois premiers actes du Tartufe donnés à Versailles ; il y fait paraître comme ouvrage nouveau le Mariage forcé ; il fait venir le Festin de Pierre avant qu’il soit question du Tartuffe ; par compensation, le Tartufe précède le Misanthrope sur le théâtre public, et la permission d’en continuer les représentations arrive directement du camp devant Lille. C’est sur la foi d’un écrivain si exact qu’on a dit qu’un premier essai de l’Avare avait mal réussi, et qu’après un intervalle plus ou moins long, Molière s’était décidé à le reprendre.