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ces deux courans opposés qui traversaient le détroit, on sait quel fut le plus fort. Hume s’illustrait en rapportant de France en Angleterre une philosophie éminemment hostile au christianisme. Voltaire s’illustrait en rapportant d’Angleterre les idées des free thinkers. Ces idées fructifièrent avec une étonnante rapidité. Nos voisins étonnés admirèrent le développement vigoureux que prenaient chez nous les germes empruntés à leur sol. Ce qui était resté obscurément enfoui dans les massifs in-quarto de leurs dialecticiens était rendu au monde entier sous des formes vives, avec une scintillante auréole, un pétillement d’esprit, une nouveauté d’aperçus qui éblouissaient nos maîtres eux-mêmes. C’est tout au plus si on reconnaissait les principes de Locke dans les splendides anathèmes de Rousseau, et le Christianisme sans mystères, le Panthéisticon de Toland dans les commentaires ironiques des encyclopédistes sur les saintes Écritures.

Lorsque la révolution de 89 éclata, tous les hommes éminens, — ceux-là même qui plus tard devaient lui déclarer la guerre, — se rallièrent, en Angleterre comme ailleurs, à cette puissante manifestation de la raison collective. Prenez un à un presque tous les grands talens de la génération qui achève de s’éteindre, et vous les trouverez à côté de Fox et d’Erskine à ce moment donné de l’histoire. Sir James Mackintosh a écrit les Vindicoe gallicœ pour répondre aux Réflexions de Burke sur la révolution française. Priestley descendit dans la même arène pour combattre le même champion. Thomas Payne remua profondément les trois royaumes avec son livre des Droits de l’homme, violent écho des maximes proclamées à la tribune de la convention. Enfin, — il faut bien rentrer dans le domaine de la poésie, — Coleridge, Southey, Wordsworth, propagateurs des doctrines de Godwin, furent, pour un temps, profondément imbus des principes démocratiques.

Ce mouvement des esprits, excessif et prématuré, servit à fortifier les institutions battues en brèche, à rallier les diverses fractions du torysme, à pousser l’Angleterre parmi les puissances coalisées contre nous. Les exagérations de Thomas Payne ont certainement facilité la tâche de Pitt. Les Gordon-riots, les déclamations de Horne-Tooke, les émeutes au milieu desquelles George III faillit périr, ont peut-être conservé le trône où la reine Victoria est si paisiblement assise. Toutefois on se tromperait grossièrement, si l’on pouvait croire que la réaction oligarchique et religieuse, provoquée par les excès de la révolution française et de ses adeptes, fût une œuvre définitive. Le levain philosophique fermentait chez les Anglais depuis leurs guerres de religion, et depuis lors, à toutes les époques, même les plus tranquilles, on retrouve au-delà du détroit des niveleurs, des nulli-fidiens. La lignée des Sydney et des Chaloner ne s’est pas éteinte. De nos jours encore, elle a ses représentans, plus nombreux qu’on ne le croirait. Au commencement