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une chaloupe avec un billet de banque. Plus tard, il descend le Rhin sur un de ces grands radeaux manœuvrés par trois cents rameurs, bourgades flottantes, qui portent à la Hollande ses bois, à l’Angleterre ses vins, et sur lesquelles voyagent des populations entières. Une fois, auprès de l’île de Man, une autre fois entre Douvres et Calais, en mer, sur des barques non pontées, il avait failli périr. A Mont-Allègre, il passait des nuits entières sur le lac. Une de ses poésies nous le montre naviguant à grand’ peine sur les flots sablonneux du Serchio et s’arrêtant au pied de la verte colline :

Whose intervening brow
Screens Lucca from the Pisan’s envious eye[1].

Plus tard enfin, fixé sur les bords du golfe de la Spezzia, où l’avait accompagné un autre « amant de la mer, » ils y entretiennent, à frais communs, une grande barque, gréée en schooner, et que montait avec eux un matelot exercé. Cette chaloupe avait été construite à Gênes, tout exprès pour Shelley, dont elle était devenue le jouet favori, en attendant l’heure marquée où par elle il devait périr.

Leigh Hunt, engagé avec lord Byron et Shelley dans la publication du Libéral, entreprise malheureuse que ces trois poètes ne surent jamais rendre populaire, vint, au mois de juin 1822, visiter ses deux illustres collaborateurs. A peine la nouvelle de son arrivée à Livourne parvint-elle à Shelley, que celui-ci mit à la voile pour aller au-devant de son hôte bien-venu. La traversée n’était ni longue ni difficile, car, partis de Villa-Magni, le 30 juin à midi, MM. Shelley et William étaient rendus à Livourne le soir même, sans le moindre péril évité. Une indisposition avait retenu mistress Shelley, qui, sans cela, devait être du voyage. Le lundi 8 juillet, après une semaine donnée aux épanchemens de l’amitié, Shelley et son ami, avec le matelot Vivian, qui complétait l’équipage de la chaloupe, reprennent la mer pour revenir à Villa-Magni. La brise était légère et favorable. Trelawney, l’aventureux camarade de lord Byron, voulait les escorter sur le schooner le Bolivar, frêté par l’auteur du Corsaire, et dignement commandé par celui des Mémoires d’un Cadet ; mais quelques chicanes de douaniers arrêtent le Bolivar, et l’embarcation de Shelley gagne seule le large. Déjà, selon le récit de Trelawney, l’horizon se chargeait de sombres nuages. La barque s’effaça dans ces brumes épaisses, qui faisaient présager une tempête plus ou moins prochaine. Une demi-heure après, l’ouragan éclatait, soudain et terrible. Toute la Méditerranée en fut ébranlée. Le capitaine Medwin, qui naviguait alors de Naples à Gênes, et que cet épouvantable sirocco surprit en vue de cette dernière ville, compare les vapeurs

  1. The boat on the Serchio. Juillet 1821.