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du meurtre et en rapporte quelques circonstances. Suivant son récit, le roi aurait commandé le crime à Iñigo Ortiz d’Estuñiga, châtelain de Jerez. Un certain Alphonse Martinez de Urueña, serviteur du médecin du roi, aurait porté l’ordre fatal, et se serait chargé de l’exécution en donnant à Blanche un breuvage empoisonné. Ortiz, en bon chevalier qu’il était, ayant déclaré que, tant qu’il commanderait dans le château, il ne souffrirait pas qu’on attentât aux jours de sa souveraine, fut remplacé par Juan Perez de Rebolledo, simple arbalétrier de la garde. Livrée à ce misérable, la reine mourut aussitôt. Telle est la version d’Ayala, répétée depuis par la plupart des historiens espagnols, et contre laquelle on ne saurait invoquer un témoignage contemporain[1].

Les malheurs de la jeune reine, sa douceur, sa pitié touchante, excitèrent à sa mort l’intérêt général. Victime prédestinée, elle ne connaissait de l’Espagne que ses prisons, où elle avait si long-temps langui, abandonnée de tous, oubliée par sa famille, oubliée par cette noblesse chevaleresque qui fit un moment de son nom un cri de ralliement contre l’autorité du roi. Sa mort fut imputée à don Pèdre et devait l’être ; mais l’assertion d’Ayala, tout imposante qu’elle paraisse au premier abord, se réduit, si on la pèse avec impartialité, à l’opinion commune des contemporains. L’humeur sanguinaire de don Pèdre n’autorisait que trop la supposition d’un nouveau meurtre, mais une considération grave doit cependant, à mon avis, suspendre le jugement de l’histoire. Quelque cruauté qu’on lui attribue, il est impossible de nier que les sanglantes exécutions qu’il commanda lui furent toujours dictées, soit par la passion de la vengeance après de graves outrages, soit par une politique poursuivie systématiquement et dont l’unique but était l’abaissement des grands vassaux. Contre la malheureuse Blanche il n’avait pas de vengeance à exercer, et, dans l’état d’abandon où elle languissait depuis dix ans, quel intérêt politique pouvait conseiller sa mort ? L’attribuera-t-on à la jalousie de Marie de Padilla ? Reine de fait, qu’avait-elle à espérer du meurtre de sa rivale ? Poser publiquement une couronne sur sa tête, répondra-t-on sans doute. Mais alors comment expliquer qu’elle ait attendu si long-temps à consommer un crime qui satisfaisait toute son ambition ? Rappelons encore que ses ennemis mêmes n’ont pu se refuser à vanter sa douceur. Favorite, on ne lui reprocha jamais d’avoir abusé de son ascendant pour faire le mal ; souvent elle réussit à calmer les transports furieux de son amant, et l’on ne cite pas un seul trait de sa vengeance contre les rivales éphémères que lui donna souvent l’inconstance de don Pèdre.

Le moment de la mort de Blanche est précisément celui où elle

  1. Ayala, p. 328 et suiv. — Romances del rey don Pedro.