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bandes peu nombreuses entretenues par les rois et attachées à la garde de leur personne. On ne doit donc pas s’étonner qu’après la prise de Calatayud la grande armée castillanne se dissipât sans pousser plus loin ses avantages. Le roi lui-même alla chercher quelques jours de repos au milieu des délices de Séville. Pour observer la frontière et garder les places conquises, il laissait les trois maîtres avec leurs chevaliers et deux mille hommes d’infanterie. C’en était assez pour tenir en haleine un ennemi qui n’osait se montrer en rase campagne.


III.

Une grande affliction attendait don Pèdre à son arrivée dans sa capitale. Son fils Alphonse, qu’il venait de proclamer héritier de sa couronne, mourut dans ses bras, victime de la terrible épidémie qui désolait l’Espagne. La peste noire, qui avait fait tant de ravages en 1350, à laquelle avait succombé don Alphonse, reparaissait au bout de douze ans, plus cruelle que jamais. On remarqua qu’elle sévit surtout dans les provinces qui avaient été le théâtre de la guerre. Calatayud souffrit plus qu’aucune autre ville ; le fléau frappa indistinctement et la garnison castillanne et les bourgeois décimés par le siège[1].

Pendant les instans de relâche que lui laissaient la douleur de don Pèdre et la dissolution de l’armée castillanne, le roi d’Aragon se hâta de rappeler le comte de Trastamare et de solliciter des secours auprès du roi de France. Bien que don Henri eût acquis une triste expérience de la foi qu’il devait avoir dans les promesses de Pierre IV, la fortune avait trop intimement uni leurs intérêts pour qu’il ne se rendît pas aussitôt aux instances de son ancien protecteur. Capitaine d’aventure aux gages du roi de France, il n’avait pas abandonné ses projets sur la Castille. Au moment où don Pèdre assiégeait Calatayud, et sans doute avant que le roi d’Aragon réclamât de nouveau ses services, le Comte signait à Paris, avec les ministres du roi Jean, un traité remarquable dans lequel il est facile de deviner ses desseins ambitieux. Il s’engageait à conduire hors de France les grandes compagnies qui désolaient le royaume[2]. Où devait-il les mener ? C’était le secret du Comte et du

  1. Ayala, p. 363.
  2. Selon certain traité, sur ce fait de nouvel, par nous et par noble et puissant homme, messire Arnould d’Audeneham, chevalier maréchal de France, avecque les gens des compaignies estant à présent au dit royaume, nous mettrons à tout notre pouvoir, sans fraude et sans mauvais engin, hors du dit royaume de France, sans jamais y retourner pour faire la guerre, les gens des dites compaignies, c’est à savoir toutes celles avecque lesquelles le dit traictié a été fait par nous et par le dit maréchal ; item que nous mettrons tout notre povoir à enmener avec nous hors du dit royaume l’Arceprestre (Arnaud de Cervole) et aussi à mettre hors du dit royaume tous les gens du dit Arceprestre, etc. Paris, 13 août 1362. Archives du royaume, section historique, carton J. 603-58. Voyez aussi dom Vaissette. Hist. du Lang., t. II, p. 316.