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Il avait toujours conseillé à son maître de faire la paix avec la Castille, et de ne pas exposer son royaume aux plus grands malheurs pour les intérêts d’étrangers turbulens. On l’accusa d’avoir été gagné par don Pèdre, mais cette imputation, que rien n’autorise, n’est pas nécessaire pour expliquer sa conduite. Représentant du parti aragonais à la cour de Pierre IV, il était nécessairement l’ennemi déclaré du parti des Castillans émigrés.

Dès que les préliminaires du traité conclu à Murviedro furent connus, l’infant, qui venait de s’opposer de tous ses efforts à un accommodement avec le roi de Castille, annonça hautement que, ses services devenant inutiles à son pays, il allait le quitter et passer en France, pour offrir son épée au régent, assuré qu’il traiterait suivant leurs mérites les braves gens qu’il avait sous ses ordres. Sa troupe, ou, comme on disait alors, sa compagnie, était d’environ mille lances, composée d’émigrés castillans et de ses vassaux aragonais, tous vieux soldats dévoués à sa fortune. À cette déclaration, Pierre IV témoigna la plus grande surprise, et fit dire à son frère qu’il le conjurait de rester à son service, promettant de lui donner toute satisfaction à l’avenir. En ce moment, l’armée aragonaise était divisée en deux camps fort rapprochés l’un de l’autre, mais qui s’observaient avec toutes les précautions que l’on prend en présence de l’ennemi. D’un côté, l’infant occupait Almanzora avec ses hommes d’armes ; de l’autre, le roi s’était logé à Castellon de la Plana avec les troupes de sa maison et la compagnie du comte de Trastamare. Après d’assez longs pourparlers, don Fernand parut se rendre aux représentations des envoyés du roi et aux prières qui lui étaient adressées par un grand nombre de riches-hommes aragonais dont il connaissait l’affection pour sa personne. Il consentit à demeurer en Aragon, et accepta l’entrevue qu’on lui proposait à Castellon, pour entendre, de la bouche même de son frère, la confirmation du traité qui l’attacherait pour toujours à son service. Pierre IV le reçut à bras ouverts, et le retint à dîner avec quelques seigneurs aragonais et castillans. On était au 10 juillet, temps des plus fortes chaleurs. Après le repas, l’infant se retira dans une salle basse pour y faire la sieste, selon l’usage espagnol. Rarement alors un grand seigneur se séparait de ses familiers, espèce de garde commandée par la prudence autant que par le faste féodal. Don Fernand faisait la sieste avec quatre de ses chevaliers, deux Castillans et deux Aragonais. L’un des premiers était Diego Perez Sarmiento, autrefois fort avant dans la faveur de don Pèdre, et qu’on a vu passer en Aragon peu après la bataille d’Araviana. Tout à coup un alguazil de cour se présente à la porte de la salle, réveille l’infant et lui déclare, au nom du roi, qu’il est son prisonnier. « Prisonnier ! s’écrie don Fernand sautant à bas du lit de repos ; qui ose arrêter les gens de ma sorte ? » Et il tire son épée. « Plutôt