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Le traité de Uncastillo fut signé par les deux rois et par un certain nombre de riches-hommes, enfin par le comte de Trastamare ; mais quelques articles demeurèrent secrets pour ce dernier. Dépouillé d’une partie de ses états, Pierre IV n’abandonnait pas l’espoir de faire des conquêtes en Castille, et déjà les partageait avec son nouvel allié. Il avait stipulé, conjointement avec Charles, que, s’ils parvenaient à chasser don Pèdre de ses états, les royaumes de Murcie et de Tolède seraient réunis à l’Aragon, et que Charles aurait, pour sa part des dépouilles, la Castille vieille et l’Alava, provinces qui, à une époque fort reculée, avaient fait partie de la couronne de Navarre. Tous deux se garantirent cette augmentation de territoire contre don Henri, pour le cas où il tenterait d’y mettre obstacle[1]. C’était la troisième fois que Pierre IV partageait la Castille en imagination, d’abord avec don Fernand, puis avec don Henri, maintenant avec le roi de Navarre, et toujours sans y posséder un pouce de terrain. Cette présomption est singulière dans un prince si prudent, que son ardente ambition n’aveuglait pas au point de poursuivre une chimère. N’est-ce point une preuve, au contraire, de sa clairvoyance et de son jugement ? Tandis que don Pèdre semait au loin la terreur, une vaste tempête se formait derrière lui. Ce n’était plus une faible partie de sa noblesse qui voulait reconquérir ses privilèges, c’était toute la nation castillanne qui, fatiguée du despotisme, tendait les bras à un libérateur. Pierre IV connaissait bien la situation de son ennemi et ne désespérait pas.

Peu après, l’infant Louis de Navarre, chevauchant mal accompagné sur la frontière d’Aragon, tomba dans une embuscade et fut emmené prisonnier par le comte de Denia, chevalier aragonais, fils de l’infant En Père et frère d’armes du comte de Trastamare. En apprenant ce coup, les capitaines castillans crient à la trahison et courent aux armes.

  1. Zurita, t. II, p. 321. — Suivant Ayala, p. 379, l’entrevue des deux rois aurait eu lieu à Sos (V. plus bas) et non à Uncastillo. Il rapporte que les souverains alliés, après avoir signé le traité dont nous avons fait connaître les principales dispositions, voulurent le sceller par l’assassinat de don Henri ; mais le châtelain de Sos, ne se prêtant pas à cette trahison, le coup fut manqué. Telle est la version d’Ayala, à mon sentiment tout-à-fait invraisemblable. À cette époque, il est évident que don Henri jouissait de la plus haute faveur auprès du roi d’Aragon. Il venait d’en obtenir le meurtre de l’infant don Fernand, ce qui n’avait pas été fort difficile, sans doute ; mais, ce qui l’était davantage, il commençait à supplanter Cabrera, médiateur infatigable de la paix avec la Castille, et le perdait dans l’esprit de Pierre IV. Comment admettre qu’au moment où il prouvait ainsi son influence sur le roi d’Aragon, ce prince ait songé à le faire périr ? Enfin, si pareil projet eût été conçu, il ne pouvait avoir d’autre motif que le désir d’obtenir, par cet assassinat, la paix avec la Castille. Or, quel était le but de l’alliance des rois d’Aragon et de Navarre, sinon de poursuivre la guerre à outrance ? Ayala répète probablement les rumeurs répandues parmi les émigrés castillans, qui, depuis la mort de l’infant, s’attendaient toujours à quelque nouvelle trahison de Pierre IV. Cfr. Ayala, p. 379 et suiv. — Zurita, t. II, p. 324.