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avoir de résultat. S’endormant au milieu de cette sécurité trompeuse, il ne soupçonnait pas même qu’il y eût une armée aragonaise sur la rive droite de l’Èbre.

Après beaucoup de temps perdu dans ses négociations avec le roi de Navarre, Pierre IV, songeant enfin à la situation alarmante de Valence, avait obtenu, à force de prières, que don Henri réunît ses troupes à l’armée aragonaise. Alors, se croyant en état d’offrir la bataille, il s’avança vers Valence à marches forcées, tandis que sa flotte, chargée de munitions de toute espèce, suivait ses mouvemens en longeant la côte. Instruit de la position des Castillans, il espérait tomber à l’improviste sur leurs quartiers et obtenir une victoire facile en les surprenant dispersés. Son armée, composée d’environ trois mille hommes d’armes[1] et de sept à huit mille fantassins, s’avançait rapidement, côtoyant le rivage hors des routes frayées, et bien qu’éloigné encore de l’ennemi, le roi avait donné l’ordre, pour mieux dérober son approche, qu’on n’allumât point de feux pendant la nuit. Probablement don Pèdre serait demeuré jusqu’au dernier moment dans la sécurité la plus complète, si un avis envoyé par un traître ne lui eût révélé l’imminence du danger. Don Tello n’avait jamais cessé d’entretenir des relations secrètes avec lui, soit que, incertain du succès, il voulût se ménager à tout événement les moyens de rentrer en grace, soit que, jaloux de don Henri, il sacrifiât ses propres intérêts à la haine qu’il portait à ce frère dont l’autorité lui était insupportable. On sait que, lors de son expédition en Castille, il avait déjà médité une défection, découverte et déjouée par la vigilance du comte de Trastamare. Cette fois, par une nouvelle trahison, il envoya un de ses écuyers à don Pèdre pour l’avertir de l’approche et des projets de l’armée aragonaise[2]. De grandes fumées sur les tours de Murviedro, signal d’alarme donné par les avant-postes castillans, confirmèrent bientôt le rapport de l’écuyer, en même temps que d’autres feux allumés sur les montagnes annonçaient aux habitans de Valence l’arrivée de leurs libérateurs[3]. Don Pèdre ne perdit pas un moment. A la tombée de la nuit, il rassembla toutes ses troupes, leva son camp, et le matin il était à Murviedro, occupant une position avantageuse et barrant la route qui conduit à Valence.

Les Castillans étaient en bataille art pied des remparts de Murviedro quand l’armée aragonaise se montra dans la plaine. Un engagement semblait inévitable. Pierre IV se hâta de ranger ses soldats, et, courant le long des bataillons à mesure qu’ils se formaient, il les harangua et les exhorta à faire leur devoir. « Je jure, dit-il à ses hommes d’armes,

  1. Ayala, p. 382. — Carbonell, p. 191, v., donne au roi d’Aragon 1,722 hommes d’armes. Probablement il ne compte que les Aragonais et non les Castillans de don Henri
  2. Carbonell, p. 191. — Ayala. p. 382.
  3. Ayala, ibid. — Feliù, Hist. de Cataluña, t. II, p. 280.