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de Murviedro et célèbre par ses miracles. C’est la seule fois, je pense, que la grandeur du péril lui arracha quelques paroles qui témoignaient de ses sentimens religieux. Sincère ou non, de retour à Murviedro, ce vœu fut accompli fidèlement, et il se rendit à l’église del Puch enchemise, pieds nus et la corde au cou, comme un condamné qui vient d’obtenir sa grace[1].

Bientôt après, il quitta le royaume de Valence pour retourner à Séville, laissant une partie de son armée pour garder les places qu’il avait prises dans cette campagne et la précédente. Sa santé, altérée par de rudes fatigues, l’obligeait à prendre quelque repos pendant les chaleurs accablantes de l’été. D’ailleurs, la campagne s’était prolongée plus qu’à l’ordinaire, et l’on a vu qu’il était résolu à ne point livrer bataille. Peut-être encore le désir de consacrer les grandes constructions qu’il faisait élever dans l’Alcazar de Séville contribua-t-il à le ramener plus tôt dans sa résidence de prédilection. C’est alors qu’il fit l’inauguration de ce palais célèbre, remarquable par l’élégance de son architecture encore tout arabe. et qu’il y traça l’inscription qui se lit au portail du monument : « Très haut, très noble, très puissant conquérant, don Pèdre, roi de Castille et de Léon, fit construire ce palais et cette façade, l’an de l’ère MCCCCII[2]. »

Au reste, son séjour à Séville ne fut pas de longue durée. Dès le mois d’août, apprenant que le roi d’Aragon avait fait une démonstration contre Murviedro, il reparut dans le royaume de Valence et recommença cette guerre de sièges et de pillages qui semblait n’avoir d’autre but que la ruine complète du pays. Ses courses s’étendirent depuis Calatayud jusqu’au-delà d’Alicante. La cavalerie légère andalouse, par la rapidité de ses mouvemens, lui donnait un grand avantage sur son adversaire, qui n’avait à lui opposer que sa pesante gendarmerie. Parmi le grand nombre de villes et de châteaux qui tombèrent en son pouvoir dans le courant de cette campagne, Castel-Favib fut la seule place qui soutint un siège en règle. Les habitans s’étaient révoltés, avaient massacré la garnison castillanne, et, pour les réduire, il fallut que le roi vînt les attaquer avec le gros de ses forces, et amenât des machines qui battirent ses remparts pendant un mois. Pour construire ces engins et les diriger, le roi fit venir de Carthagène deux Maures, fils d’un ingénieur célèbre qu’on nommait maître Ali[3]. On sait qu’alors en Espagne les musulmans presque seuls cultivaient les sciences et les arts. Ce furent des architectes maures qui construisirent les palais de Séville, et, pour détruire des murailles comme pour en élever, il fallait avoir recours aux connaissances supérieures des artistes arabes.

  1. Ayala, p. 384.
  2. Zuñiga, An. de Sev., t. II, p. 165.
  3. Ayala, p. 387. — Cascales, Hist. de Murcia, p. 137.