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l’investiture de la seigneurie de Castafeda. Don Sanche, son frère, ne fut pas moins bien traité, et sa part fut l’immense héritage du fameux don Juan d’Alburquerque, qui, depuis la mort de son fils, avait été dévolu à la couronne. Anciens serviteurs, compagnons d’exil, transfuges ou adversaires ralliés se disputaient le riche butin donné par la victoire. Il semblait que don Pèdre n’eût grossi le domaine royal que pour fournir aux prodigalités de son ennemi. Pour la première fois en Castille, les titres de comte et de marquis, jusqu’alors réservés aux membres de la famille royale, furent donnés à des riches-hommes ou même à des capitaines étrangers[1]. Telle fut la générosité ou plutôt la profusion du nouveau roi, qu’elle donna lieu à une expression proverbiale long-temps usitée en Espagne. Faveurs de Henri, ainsi appela-t-on désormais les graces obtenues avant d’avoir été méritées[2].


VI.

Pendant que don Henri se faisait couronner à Burgos, don Pèdre entrait en fugitif dans Tolède et s’y arrêtait quelques jours comme étonné de n’être pas poursuivi ; mais les nouvelles qu’il recevait de tous les côtés ne faisaient qu’accroître son abattement. Malgré la jonction de quelques troupes arrivées du royaume de Valence, il se sentait moins que jamais en état de tenter la fortune des armes. Un reste de terreur qu’il inspirait encore avait bien pu lui rallier plusieurs milliers de soldats, mais il ne se dissimulait pas que son prestige était perdu et qu’il ne pouvait plus se faire obéir. Tolède n’étant pas, à ses yeux, un asile plus sûr que Burgos, il se disposa à l’abandonner bientôt pour gagner l’Andalousie. Après avoir exhorté les habitans à se défendre avec courage, il leur laissa pour gouverneur Garci Alvarez, maître de Saint-Jacques, avec quelque six cents hommes d’armes ; puis il courut à Séville, conservant à peine l’espoir de prolonger la lutte dans un pays qu’il aimait et sur lequel, plus qu’en aucune autre de ses provinces, s’étaient répandues ses faveurs. Au lieu de se faire suivre par les troupes aguerries revenues du royaume de Valence, il les distribua fort imprudemment dans quelques villes de la Castille neuve, sous le commandement de seigneurs qu’il croyait encore attachés à sa personne, et ne garda auprès de lui qu’un petit nombre de riches-hommes qui, possédant des domaines en Andalousie, pouvaient y exercer une influence utile à sa cause. Ceux qu’il laissait en arrière attendirent à peine qu’il fût éloigné pour faire leur soumission au vainqueur. Ni le souvenir de ses bienfaits, ni la crainte de ses vengeances, n’arrêtaient plus personne.

  1. Pellicier. justificacion de la grandeza de don Fernando de Zuniga, p. 1 et suiv.
  2. Mercedes Enriqueñas