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Russell n’est pas assez fort pour résister à la pression du dehors, et ce sera un embarras de plus pour le chancelier de l’échiquier.

Les malheurs de l’Europe ont fait la fortune de l’Amérique ; le Nouveau-Monde a recueilli ce que perdait l’ancien ; les États-Unis ont été heureux dans la guerre, heureux dans la paix. Le président de l’Union a ouvert le congrès par un message de la longueur accoutumée ; c’est déjà un avantage des monarchies de n’être pas aussi prolixes et aussi verbeuses que les républiques. Le message de M. Polk est fait pour flatter toutes les passions de ses concitoyens, et la guerre avec le Mexique y occupe naturellement la place la plus considérable. M. Polk se donne beaucoup de peine pour prouver que le Mexique a été l’agresseur, et que les États-Unis n’ont fait qu’user de représailles ; c’est une peine dont le moindre défaut est d’être inutile ; les Américains du Nord feraient mieux de rejeter la responsabilité de leurs conquêtes, comme ils l’ont déjà fait plus d’une fois, sur la Providence ou sur la fatalité. C’est une force invincible qui les pousse ; ils ne s’arrêteront plus désormais qu’aux extrémités de leur continent. Ils absorberont le Mexique, parce que la race qui l’occupe n’est plus capable de le posséder ni de le faire valoir, et parce que la terre appartient à qui sait l’occuper et l’exploiter. L’annexion du Mexique est une conséquence forcée de l’annexion du Texas ; la race septentrionale s’étend et se développe par le simple effet de sa supériorité. On a dit quelque part que l’histoire des Américains dans le Texas était celle du chien dans le garde-manger. Les Mexicains, ne pouvant coloniser eux-mêmes le Texas, y appelèrent les Américains ; les hardis pionniers y plantèrent leurs tentes, y apportèrent l’esprit des institutions sous lesquelles ils étaient nés ; ils commencèrent par se rendre indépendans, mais la force d’attraction les ramena insensiblement dans le cercle de leur ancienne nationalité. La première morsure était faite à ce grand corps, on pourrait dire à ce grand cadavre de l’Amérique espagnole ; morceau par morceau, il finira par passer tout entier dans la gueule toujours avide et toujours bruyante de la démocratie du nord. En ce moment, les États-Unis se contentent de deux provinces, le Nouveau-Mexique et la Californie. Ils les prennent à titre d’indemnité ; il est bien juste qu’ils couvrent les frais de la guerre : or, comme le Mexique est sans ressources pécuniaires et plongé au contraire dans la banqueroute, il est clair que la seule indemnité possible est une cession de territoire. Il y a d’ailleurs une autre raison pour que les États-Unis gardent la Californie : c’est que, les Mexicains étant hors d’état de l’utiliser, elle pourrait tomber sous la main de quelque autre puissance, et, comme on le sait, les États-Unis ne peuvent point souffrir qu’aucune nation étrangère mette le pied sur leur continent pour y fonder de nouvelles possessions. L’Amérique est aux Américains ; cette déclaration, déjà faite autrefois par le président Monroe, reproduite depuis par plus d’un de ses successeurs, M. Polk l’a renouvelée solennellement dans son dernier message, et elle fait maintenant partie du droit public des États-Unis. Après tout, cela regarde l’Angleterre beaucoup plus que nous ; c’est une déclaration qui touche le Canada aussi bien que la Californie. Est-ce pour prendre ses précautions que l’Angleterre se fait en ce moment une querelle avec l’état du Nicaragua, et menace d’en occuper le territoire ? Les États-Unis sont trop occupés avec le Mexique pour se brouiller actuellement avec l’Angleterre ; il est probable qu’ils attendront encore avant de mettre à exécution la maxime de M. Polk.