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plané long-temps, s’abattait tout à coup sur le faîte crénelé du mur où s’abritait sa nichée.

Pourtant une fenêtre située à l’un des angles du château était encore entr’ouverte, et si quelque hibou curieux était venu se percher au balcon qui faisait saillie au-dessus d’une espèce de gouffre formé par la pente du roc, s’il eût regardé à travers la profonde embrasure, son œil jaunâtre aurait été ébloui par la lumière de la lampe posée sur une table de chêne, au milieu de la bibliothèque.

Cette bibliothèque était une pièce de médiocre grandeur, tapissée de rayons où, pêle-mêle avec une centaine de volumes, gisaient les paperasses poudreuses accumulées depuis trois siècles dans les archives de la famille de Farnoux. Des coquilles d’une médiocre valeur et des échantillons de minéralogie, jetés en guise de serre-papier sur les manuscrits, témoignaient du peu de soin qu’on prenait de cette collection et du peu de prix qu’on attachait à ces vieilles éditions, qui, pour la plupart cependant, portaient sur leur titre le nom des Estienne et des Elzevir. Quelques livres plus modernes étaient épars sur la table, à côté d’une écritoire de faïence blanche, toute diaprée de taches d’encre et de signes hiéroglyphiques, comme celles dont se servent les écoliers. À cette heure avancée, deux personnes veillaient encore, assises en face l’une de l’autre, aux côtés de la table, et dans ce nocturne tête-à-tête, elles n’échangeaient guère que quelques monosyllabes. Immobiles et absorbées dans une silencieuse occupation, elles formaient un naïf et charmant tableau.

L’une écrivait, penchée sur un lourd pupitre, dont la basane usée attestait les longs services : c’était une jeune fille parfaitement belle. Ses formes tout à la fois sveltes et fortes, annonçaient un complet développement. Quoique ses traits fussent encore d’une délicatesse presque enfantine, l’ovale pur de son visage, la régularité de son profil, donnaient à sa beauté un caractère de perfection incomparable. Elle était habillée à la mode du temps et avec une élégance fort recherchée pour une demoiselle qui vivait cachée dans un vieux château, au fond de la province la plus reculée du royaume. Elle portait une robe de lisard blanc brodé en couleur avec une jupe bouffante de même étoffe, et le ruban noir serré à son cou soutenait une croix de pierres fines. Ses cheveux, disposés en grosses boucles étagées sur les tempes, formaient derrière la tête un épais chignon, pareil à un nœud de soie brune entremêlée de fils d’or. Le bonnet posé sur cette magnifique chevelure s’élevait droit sur le front comme une pyramide ; nous renonçons à en donner une idée, car il faudrait recourir aujourd’hui à un glossaire pour décrire ce léger édifice de dentelles et de rubans, pour expliquer lequel de ces précieux bouts de chiffons s’appelait le croissant, le solitaire, le firmament, etc., etc. Le personnage assis de l’autre côté