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l’embrasure des fenêtres qui, prenant les clartés de la lampe pour le point du jour, heurtaient les vitrières de leurs ailes ; c’était une légion de souris qui trottaient, effarées, entre le mur et la tapisserie. Vers le matin cependant, Mlle de Saint-Elphège s’endormit, tandis que sa mère se levait sans bruit et allait se promener sur le rempart qui s’avançait comme une terrasse devant les fenêtres de son appartement.

Les gens qui avaient dû précéder le marquis arrivèrent dans la matinée ; ils s’étaient égarés en prenant un chemin de traverse et avait traîné à grand’peine avec eux le reste des bagages. On commença sitôt a arranger et à décorer les principaux appartemens du château. Le marquis transporta dans cette antique demeure le luxe qui l’environnait à la cour. Pendant près d’une année, on travailla à réparer et à embellir ces grandes chambres délabrées, ces salles à peu près nues que La Graponmère ne faisait jamais balayer, et où l’araignée avait si long-temps filé en paix ses réseaux impalpables. Lorsque les tentures et les meubles eurent été renouvelés partout, Mme de Saint-Elphège s’avisa de demander au marquis comment il ferait arranger la bibliothèque.

Le vieux courtisan parut étonné de la question ; il n’avait peut-être jamais ouvert en sa vie d’autre livre que l’almanach de la cour, et méprisait fort les belles-lettres

— Qu’est-ce que cette chambre qu’on appelle la bibliothèque? dit-il en allongeant la lèvre d’un air dédaigneux ; une espèce de grenier où sont entassés quelques bouquins rongés de poussière. Il est inutile d’y rien changer.

— Mais, mon frère, observa Mme de Saint-Elphège, les papiers, les titres de votre maison sont parmi ces vieux livres.

— N’en prenez pont souci, madame, répondit fièrement le marquis, les titres de la maison de Farnoux ne sont point dans ses archives ; ils sont écrits partout dans l’histoire de Provence et dans les anciennes chartes. Nous n’avons que faire de nos parchemins pour établir nos droits et ce que nous sommes.

Après cette installation complète, on put juger que la résolution du marquas était irrévocable, et qu’il passerait le reste de ses jours à la Roche-Farnoux. Ce séjour était cependant des moins agréables, malgré les arrangemens magnifiques qu’on y avait faits. Les embellissemens intérieurs n’en avaient pas changé l’aspect général, et le paysage qu’on découvrait des fenêtres était toujours aussi triste. Il n’aurait pas été impossible peut-être de créer autour du château un terrain artificiel et d’y faire croître quelques arbres ; mais aux yeux du marquis c’était chose tout-à-fait inutile. Comme il ne s’était guère promené que dans les jardins des résidences royales, il ne faisait pas grand cas des sentiers bordés d’arbustes, des parterres irrégulièrement tracés sur