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des pentes de terrain, et encore moins des beautés agrestes de la campagne. En fait de paysage, il n’aimait que ceux des tapisseries de Flandre, et jamais de sa vie il n’avait été tenté de cueillir une fleur sauvage.

La maison du marquis se composait d’une livrée nombreuse, de quelques serviteurs exclusivement attachés à sa personne, et de deux individus qui sortaient tout-à-fait des rangs de la domesticité. Le premier était un pauvre prêtre ne possédant que sa soutane et son bréviaire ; il avait le titre d’aumônier et desservait la chapelle du château. Le second, — c’était La Graponnière, — remplissait les fonctions d’écuyer de main et accompagnait partout son maître. Tous deux avaient leur couvert à la table du marquis, faisaient sa partie d’hombre, et aidaient les dames de la maison à lui tenir compagnie. C’était comme une petite cour qui le servait avec crainte et soumission. La domination qu’il exerçait sur son entourage était facile, absolue, car elle se basait sur la plus puissante de toutes les influences, l’influence de l’intérêt personnel. Chacun savait que l’héritage du vieux seigneur enrichirait ceux qui l’avaient servi et qui l’entouraient de complaisances, de respects assidus.

D’abord Mme de Saint-Elphège essaya de s’accoutumer à cette vie tout-à-fait séparée du monde ; elle voulut sincèrement se complaire dans ces nouvelles habitudes, mais elle avait malheureusement trop d’esprit pour s’amuser avec des gens qui en avaient si peu. Les soirées surtout lui semblaient mortellement longues. On les passait dans la salle qui précédait la chambre du marquis. L’aumônier et La Graponnière dormaient les yeux ouverts dès qu’ils n’avaient plus les cartes à la main, et prenaient part à la conversation en faisant de loin en loin un geste d’automate. Quant à M de Farnoux, il ne causait pas, il racontait, il racontait toujours les mêmes histoires. Le vieux courtisan avait assisté à tous les événemens considérables de l’époque, il avait vu de près tous les personnages fameux de ce temps-là mais il n’était rien resté dans son esprit des faits historiques dont il avait été témoin, et il ne parlait guère des gens célèbres qu’il avait connus. C’était un homme sans portée, un valet de haute naissance qui avait passé sa vie à servir le roi son maître, comme il l’appelait, et dont l’intelligence s’était exclusivement appliquée à retenir les puérilités du cérémonial et de l’étiquette. Sa conversation roulait ordinairement sur les circonstances difficiles où il s’était parfois trouvé quand il avait l’honneur d’être un des quatre premiers gentilshommes de la chambre, et sur les faits mémorables qui s’étaient passés sous ses yeux à propos du bougeoir ou de la chemise de nuit du roi. Il expliquait à fond les devoirs et les prérogatives du grand-maître, du grand-chambellan, du premier maître d’hôtel, etc. ; il définissait les questions de préséance et établissait clairement auquel