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de ces grands officiers appartenait l’honneur de tirer la manche droite du roi ou de lui ôter ses chausses.

Ces discours amusèrent d’abord Mlle de Saint-Elphège ; mais lorsqu’elle sut à peu près par cœur le cérémonial de la cour, elle n’écouta plus son vieil oncle qu’avec des distractions intérieures, des baîllemens étouffés, et, lorsqu’il lui eut raconté pour la vingtième fois la même anecdote, elle commença à la trouver insipide.

Au bout de quelques mois, la santé délabrée du marquis s’était tout à-fait rétablie ; il dormait tout d’un somme, mangeait bien, buvait sec et avait coutume de répéter chaque jour à la fin de ses quatre repas que l’air de la Roche-Farnoux était un remède souverain à toutes les infirmités. Il n’y avait pas trouvé cependant la fontaine de Jouvence ; son visage conservait toutes ses rides, il maigrissait à mesure qu’il venait en santé, et sa peau desséchée prenait graduellement une couleur de momie. À ces signes, les anciens du bourg qui avaient connu la vieille demoiselle de Farnoux prédirent que le marquis vivrait cent ans ; les gens de sa maison, au contraire, se figuraient que son aspect caduc annonçait le terme prochain de ses jours.

Pendant cette première année, Mme de Saint-Elphège tomba dans une maladie de langueur qui ne lui causait pas de grandes souffrances ; elle n’était peut-être pas encore mortellement frappée, mais un continuel ennui, une sourde et secrète mélancolie la minaient ; elle dépérissait lentement, sans avoir conscience de sa situation. Mlle de Saint-Elphège résistait mieux que sa mère à cette monotone existence ; les vives et tenaces espérances de la jeunesse la soutenaient ; elle parlait de l’hôtel du quai de la Tournelle, de sa famille absente, de tout ce qu’elle avait quitté, comme si elle entrevoyait le terme prochain de son exil.

Environ trois ans plus tard, la vie uniforme des habitans de la Roche-Farnoux fut troublée par un triste événement : Mme de Saint-Elphège mourut. A ses derniers momens, elle fit promettre à sa fille d’achever courageusement l’œuvre à laquelle toutes deux s’étaient dévouées, et de rester auprès du marquis pour que l’immense héritage de la maison de Farnoux ne sortît point de la famille. Peu de temps auparavant, Mme de Sénanges avait perdu son mari mais les deux sœurs n’eurent point la consolation de se revoir. Mme de Sénanges arriva pour pleurer avec sa nièce et pour faire la partie de son frère, lequel avait de l’humeur lorsqu’il était forcé de jouer avec l’abbé Gilette et La Graponnière seulement.

Quelques années s’écoulèrent encore, et, dans ce laps de temps, !c bruit courut une fois dans le château qu’un jeune gentilhomme du pays, ayant demandé la main de Mlle de Samt-Elphège, avait été refusé parce que le marquis avait déclaré que sa nièce devrait quitter la Roche-Farnoux, si elle était mariée. La même année, Mme de Sénanges mourut presque subitement.