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et d’autre les griefs étaient graves. L’Aragonais voyait avec peine ses frères consanguins, don Fernand et don Juan, accueillis à la cour de Castille et devenus puissans grace aux discordes civiles de ce pays. La cession des places d’Alicante et d’Orihuela faite par don Fernand à don Pèdre avait paru révéler des projets d’agression, que Pierre IV s’était efforcé de détourner, en travaillant en secret à détacher les infans du service de la Castille pour les attirer au sien sous de grandes promesses[1]. En effet, la possession de deux villes si importantes ouvrait au Castillan le royaume de Valence et semblait l’inviter à en faire la conquête. De son côté, le roi don Pèdre alléguait de plus sérieux sujets de plainte ; d’abord l’asile accordé par Pierre IV aux seigneurs proscrits après la prise de Toro, contrairement aux conventions annexées au traité d’Atienza ; puis la commanderie d’Alcañiz, située dans le royaume de Valence, mais propriété de l’ordre de Calatrava, et par conséquent relevant du maître de Castille, avait été concédée par l’Aragonais à un chevalier rebelle à son chef, ou du moins Pierre IV avait reconnu ce frère insubordonné et lui accordait sa protection. Les mêmes réclamations s’élevaient à l’égard de la commanderie de Montalvan, dépendant de l’ordre de Saint-Jacques et usurpée, malgré la défense expresse de don Fadrique, depuis sa réconciliation avec son frère ; enfin, des corsaires catalans, croisant sur les côtes d’Andalousie, avaient fait éprouver de grandes pertes au commerce de cette province. Sous prétexte de poursuivre les navires génois, ils avaient capturé ou pillé nombre de vaisseaux chargés de grains, et l’on attribuait à leurs violences la famine désastreuse qui avait ravagé le midi de la Péninsule[2]. À ces griefs patens, et qui donnaient lieu à des communications diplomatiques assez peu amicales, se joignait le soupçon des intrigues secrètes entretenues par le roi d’Aragon avec tous les mécontens de la Castille. Les tentatives récentes qu’il avait faites pour ramener à son service don Fernand et don Juan, que don Pèdre considérait comme ses vassaux, semblaient à ce dernier une séduction coupable. En effet, en proposant une réconciliation à ses frères, Pierre IV ne visait qu’à recouvrer les places d’Alicante et d’Orihuela, gages de la fidélité des infans, si chèrement achetée par le roi de Castille. On n’ignorait pas à Séville que l’Aragonais avait encore d’autres correspondances mystérieuses avec don Tello, avec don Henri et les ligueurs réfugiés en France. De part et d’autre la méfiance était extrême. On s’attribuait les desseins les plus perfides. En un mot, la rupture était inévitable, lorsqu’un événement fortuit vint la précipiter.

  1. Le seigneur d’Hijar était l’intermédiaire de cette négociation en 1355. Voyez lettre de Pierre IV au seigneur d’Hijar, datée de Castel de Caller, 1er juillet 1355. Archivo general de Aragon, registre 1293 Secretorum, p. 22.
  2. Zurita, Anal. de Aragon, p.268 et suiv. — Ayala, p. 217.