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jetaient dans de secrètes agitations, et où elle priait ainsi son livre d’Heures toujours ouvert à la même page et le regard errant sur les vieux vitraux de la chapelle. Il lui sembla que Clémentine avait cette physionomie tout à la fois radieuse et pensive, parce que M. de Champguérin était de retour, et une commisération mêlée de jalousie s’éveilla dans le cœur vide et desséché de la vieille. fille. A l’issue de la messe, s’empara de sa nièce, bien résolue à ne pas la perdre de vue un seul moment pendant cette journée.

On dînait à midi, selon l’antique usage, et chaque jour, en sortant de table, le marquis faisait ce qu’il appelait sa promenade c’est-à-dire qu’il parcourait trois fois de long en large la terrasse du château, s’arrêtant à chaque tour devant le parapet pour regarder les toits du village et le chemin pierreux qui conduisait à la Roche-Farnoux. La Graponnière se tenait près de lui, chapeau bas, l’avant-bras étendu et le poing à la hauteur du coude ; puis venaient les dames, le parasol à la main et la robe troussée sur les côtés, comme il était alors d’usage pour sortir à pied. Le petit baron accompagnait ce groupe, grave de son mieux, et restant en arrière quand il pouvait pour observer les processions de fourmis noires qui parcouraient le sol calciné de la terrasse.

Ce jour-là, le marquis allait d’un pas leste, que son écuyer de main s’essoufflait à le suivre ; au premier tour, il s’arrêta droit devant le parapet et les yeux fixés sur le chemin.

— Holà ! qu’est-ce que tout ce monde là-bas? fit-il en désignant plusieurs cavaliers qui descendaient les pentes raides de la montagne dont le sommet brûlé s’élevait en face de la Roche-Farnoux ; mon vieux La Graponnière, mets tes lunettes, et dis-moi si tu reconnais cette livrée.

— Non, monseigneur ; même avec mes lunettes, je ne saurais apercevoir ce que vous distinguez si bien avec vos yeux, répondit obséquieusement La Graponnière.

— Moi, je vois très bien d’ici des jaquettes vertes, dit étourdirent le jeune baron. Ces gens-là sont à M. de Champguérin, et le voilà lui-même qui chevauche devant eux,

— Voyez un peu quel escadron ! s’écria le marquis avec ce mouvement dédaigneux des lèvres qui lui était particulier ; sans doute ces laquais vêtus comme des dragons vont sonner le cavalquet en traversant le village. Quel train et quelle suite pour un Champguerin!

À ces mots, Mlle de Saint-Elphège fit un geste d’approbation tacite. Clémentine rougit d’indignation comme si elle eût reçu une offense personnelle, et Mme de Barjavel, se tournant vers le marquis, lui dit tranquillement : — Je croyais, monsieur, que les Champguérin était presque aussi anciens que les Farnoux.