Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commandés par Mauny, qui le firent prisonnier et le menèrent à Borja, publiant que c’était à bon droit, puisqu’il avait violé la neutralité en livrant passage au prince de Galles. En réalité, l’embuscade avait été concertée entre le roi et le capitaine d’aventure. Charles s’était arrangé pour demeurer captif jusqu’à l’issue de la campagne ; et devait payer la complaisance de son geôlier en lui donnant une rente de 3,000 fr. et la ville de Guibray dans ses domaines de Normandie[1]. On peut se demander jusqu’à quel point cette transaction déloyale put demeurer inconnue à Du Guesclin, dont Mauny était le lieutenant, inconnue au roi d’Aragon, dont l’un et l’autre étaient les hommes liges. La politique astucieuse de Pierre IV, la rapacité des aventuriers, autorisent tous les soupçons ; mais les auteurs contemporains n’ont accusé que le seul Olivier de Mauny, et nous devons imiter aujourd’hui leur réserve. En apprenant la captivité de son maître, Martin Enriquez, lieutenant-général du royaume de Navarre, protesta contre son arrestation, qu’il déclara déloyale, et, suivant des instructions probablement reçues d’avance, il joignit avec trois cents lances l’armée anglaise auprès de Pampelune. Charles l’aurait désavoué sans doute, si le prince de Galles eût été contraint de repasser les monts.

La guerre étant maintenant flagrante entre l’Angleterre et le roi de Castille, sir Hugh de Calverly, qui, sous son nouveau titre de comte de Carrion, était demeuré jusqu’alors à Burgos auprès de don Henri, vint lui demander son congé et la permission de rejoindre la bannière du prince de Galles, son seigneur naturel. D’après leurs capitulations, les aventuriers anglais devaient porter les armes contre tous les ennemis du roi de Castille, sauf le roi d’Angleterre et son fils. De part et d’autre on se conduisit avec loyauté et courtoisie. Le capitaine anglais allégua ses sermens, exprima de vifs regrets, et offrit de porter au prince de Galles des propositions d’accommodement. Sir Hugh n’avait que trois ou quatre cents lances, et il eût été facile de l’accabler. Don Henri se montra généreux ; il le remercia de ses services passés, et le congédia en lui faisant des présens magnifiques, sans espoir d’ailleurs que son entremise obtînt quelque succès.


II.

Sur le bruit de l’entrée des Anglais en Espagne, tous les partisans de don Pèdre relevèrent la tête, et quelques défections éclatantes vinrent alarmer l’usurpateur. Plusieurs villes de la Castille se soulevèrent, et un corps de six cents cavaliers, détachés dans la province de Soria pour réduire la ville d’Agreda, se réunit tout entier aux rebelles.

  1. Ayala, p. 436. — Froissart, livre I, 2e partie, chap. CCXXIV.