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III.

Au soin que le nouveau roi prenait à se représenter comme contraint de repousser une agression injuste, on devait supposer que, seulement pour conserver les apparences jusqu’au bout, il attendrait les Anglais derrière la Najerilla, et qu’il répéterait la manœuvre qui lui avait déjà réussi à Zaldiaran. Il n’en fut rien. Aussitôt après sa réponse au prince de Galles, déclarant qu’il voulait terminer la guerre par un seul combat, il passa la rivière qui le couvrait, et, la nuit même qui suivit le renvoi du héraut, il mena son armée dans la plaine entre. Najera et Navarrete. Les capitaines des aventuriers, qui le voyaient à regret quitter un poste avantageux, essayèrent vainement de combattre sa résolution. Mais ses succès contre l’avant-garde anglaise avaient exalté son courage, le nombre et l’ardeur de ses soldats lui inspiraient une confiance nouvelle, enfin son honneur chevaleresque lui représentait la lettre d’Édouard comme un cartel qu’il ne pouvait refuser sans se couvrir de honte. Le sort en était jeté. De part et d’autre on se disposa pour la bataille. En apprenant que l’armée castillanne débouchait dans la plaine, le prince, enchanté de cette témérité à laquelle il ne s’attendait pas, s’écria : « Par saint George ! en ce bâtard il y a un vaillant chevalier[1] ! »

L’art de la guerre avait bien dégénéré au moyen-âge. A la savante tactique des Romains qui soumettait les mouvemens des plus grandes masses au commandement d’un seul homme, avait succédé une autre tactique, grossière et appropriée à l’anarchie féodale. Maintenant le sort des batailles ne dépendait plus de l’habileté du général, mais du courage et surtout de la vigueur de ses soldats. On ne manœuvrait plus ; on se donnait rendez-vous sur un terrain uni, comme dans un champ clos, et une bataille n’était plus qu’un grand duel où l’adresse à l’escrime et la force physique décidaient la victoire. Composées en majorité de cavalerie, les armées du moyen-âge n’avaient ni la mobilité ni la fermeté des armées romaines, et la difficulté de trouver des fourrages faisait souvent avorter une expédition préparée à grands frais. Aux hommes d’armes était confié le poste d’honneur, lourdes statues de fer qui s’entreheurtaient un instant, malhabiles à frapper, impénétrables aux coups[2]. Rarement le premier choc était sanglant entre des hommes couverts, de la tête aux pieds, de plaques épaisses d’acier ou de fer ; mais le désordre se mettait vite dans ces bataillons compactes. Quelques chefs tombaient, quelques bannières étaient renversées ; le parti le plus faible, ou le plus tôt découragé, tournait le dos et prenait la fuite ; alors commençait le carnage. Tout guerrier porté

  1. Froissart, liv. I, chap. 230.
  2. Inferendis ictibus inhabiles, accipiendis impenetrabiles. – Tacite, An. 3, 41.